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Photo du rédacteurThierry Bardy

Amazon : les grands défis de l'ère post- Bezos


Philippe Bertrand, Florian Dèbes, Basile Dekonink, Véronique Le Billon, Nicolas Madelaine et Nicolas Rauline


Malgré sa maturité, de nombreux défis attendent le groupe, à l'heure où son patron fondateur, Jeff Bezos, passe la main à Andy Jassy. Il va devoir se réinventer pour maintenir son emprise sur l'e-commerce ou le cloud. L'omnicanal, la concurrence de Walmart et d'Alibaba, la santé : les champs de bataille ne manquent pas.

Le départ d'un patron plein de certitudes comme Jeff Bezos lève nécessairement quelques doutes. En prenant un peu de distance avec l'empire qu'il a fondé - il cède la direction générale à Andy Jassy ce lundi 5 juillet pour conserver la présidence exécutive -, le patron d'Amazon s'éloigne d'un géant à son « sommet », selon ses propres termes. Mais pas sans défis.

L'omnicanal, la concurrence de Walmart et d'Alibaba, la santé : malgré sa maturité et l'expérience de son nouveau pilote, les sujets ne vont pas manquer chez Amazon au cours des prochains mois. Pour maintenir son emprise sur le cloud ou l'e-commerce, l'entreprise va devoir rester fidèle au principe du « parti pris de l'action » cher à Jeff Bezos, qui l'avait lui-même emprunté à Sam Walton, le fondateur de Walmart. Autrement dit : continuer d'innover pour maintenir son avance sur des concurrents en embuscade. Les chantiers sont nombreux.

Après le rachat de Whole Foods, Amazon deviendra-t-il omnicanal ?

En 2017, le rachat des 460 magasins bio Whole Foods Market sonnait comme un coup de tonnerre dans le ciel de la distribution mondiale. Non content de concurrencer les magasins « en dur » sur le Web, le géant de Seattle venait sur leur terrain. Le destin d'Amazon est-il de devenir omnicanal ? Le grand concurrent chinois Alibaba a franchi le pas en rachetant Sun Art, la filiale d'Auchan leader de l'hypermarché en Chine et en lançant le concept Hema, un point de vente physique ultra-connecté dédié aux produits frais, dans lequel on prépare aussi les commandes reçues en ligne.

La firme de Jeff Bezos n'en est pas là, même si on lui prête régulièrement l'intention de racheter Monoprix en France. Les chiffres montrent que Whole Foods n'est pas une affaire en expansion. Elle était en difficulté avant le rachat, elle ne va pas beaucoup mieux malgré les avantages donnés aux clients Prime.

En 2020, les ventes d'Amazon sur la Toile ont grimpé de 39 %, à 340 milliards de dollars. Celles des magasins physiques - essentiellement Whole Foods - stagnent aux environs des 17 milliards, que ce soit en 2018, 2019 et 2020. L'avenir d'Amazon dans les magasins réside plutôt dans Amazon Go, les supermarchés sans caisse. Le concept est arrivé en mars au Royaume-Uni après trois années de test aux Etats-Unis. « Forbes » en annonce 30.

La technologie Just Walk Out est aussi déclinée dans les Amazon Fresh. Il y en a 14 outre-Atlantique après un lancement à Los Angeles en août 2020. Ils peuvent se transformer en « dark stores » pour la livraison. Mais la vente de la technologie Just Walk Out à des distributeurs classiques sera sûrement la première ressource d'Amazon en matière de « briques et mortier ».

Quand Amazon dépassera-t-il Walmart aux états-Unis ?

La note de JP Morgan a eu son petit succès : « Nous pensons qu'Amazon pourrait dépasser Walmart en tant que plus grand détaillant américain en 2022 », ont indiqué les analystes Doug Anmuth et Christopher Horvers. En 2020, Amazon était encore nettement derrière le distributeur aux presque5.000 magasins aux Etats-Unis, mais le groupe de Seattle a enregistré un volume total de marchandises vendues en croissance de 41 %, à 316 milliards de dollars, contre une hausse de 10 % pour Walmart, à 439 milliards.

Avec la fermeture des commerces et la bascule à marche forcée de la vente en ligne, l'e-commerce a bondi de 27,5 % l'an dernier aux Etats-Unis, représentant désormais 13,6 % du total des ventes au détail. Sur un périmètre ajusté, la part de marché de l'e-commerce dans les ventes de détail, à 19 % l'an dernier, pourrait croître à moyen terme jusqu'à 45 %, estime JP Morgan.

Amazon est de loin le leader de ce canal de ventes avec 39 % de part de marché, et il est en outre très présent sur les secteurs les plus dynamiques (épicerie, petits biens de consommation et d'équipement, vêtements, etc.). Walmart pousse les feux en multipliant les expérimentations et les services mêlant relation physique et numérique avec ses clients, mais son champ d'action est moins large.

Avec une place de marché en forte croissance, l'une des armes de conquête d'Amazon est aussi le service Prime. Il permettait initialement de se faire livrer sans frais avec un abonnement annuel à 119 dollars (100 euros) aux Etats-Unis, mais l'ajout de contenus (streaming vidéo, musique…) valorise aujourd'hui le service à 1.000 dollars. Bien davantage que le service naissant de Walmart.

Alibaba est-il une menace pour Amazon ?

C'est sans doute, de la grande aventure d'Amazon, le plus cuisant des échecs. Implantée dès 2004 avec le rachat du site Internet Joyo, l'entreprise de Jeff Bezos a longtemps été bien placée pour capter le réservoir inépuisable de croissance que représente le e-commerce en Chine, premier marché mondial - 1.700 milliards de dollars de vente l'an passé, selon JP Morgan. Faute d'avoir cultivé de bonnes relations avec le pouvoir central et d'avoir compris les spécificités des attentes des consommateurs et des marchands tiers, l'entreprise de Jeff Bezos a laissé prospérer ce qui est aujourd'hui un rival mondial : Alibaba.

Le cybermarchand fondé par Jack Ma réalise 93 % de son volume d'affaires en Chine, mais cela lui suffit pour afficher, chaque année, des taux de croissance à deux chiffres. Pas seulement dans la vente au détail : bien inspiré par Amazon, Alibaba s'est lui aussi diversifié dans le cloud, une activité sur laquelle il règne en maître sur ses terres et qui lui a permis de générer 6,2 milliards de dollars de revenus en 2020. De quoi dégager un résultat d'exploitation supérieur à son rival (14,1 milliards de dollars contre 12,9 milliards) malgré un chiffre d'affaires quatre fois moins important. Et nourrir des ambitions de plus en plus importantes hors de ses frontières.

Alibaba ne se contente ainsi plus d'accaparer le consommateur de Chine. Sa plateforme AliExpress est aussi, avec Wish, la principale rampe de lancement des très nombreux vendeurs tiers chinois vers l'Ouest - des produits souvent sans marques, vendus à des prix défiant toute concurrence.

Si Amazon reste roi aux Etats-Unis, le groupe chinois pèse de plus en plus en Amérique du Sud et en Europe - notamment en France - et dispose d'une avance considérable dans le « new retail ». Il pratique, par exemple, depuis une décennie le « live shopping », qui commence tout juste à poindre aux Etats-Unis et en Europe, et son réseau de magasins Hema Fresh fait référence dans l'omnicanal, loin devant les magasins sans caisse Amazon Go. Autant d'angles morts sur lesquels l'américain va devoir réagir.

Amazon peut-il conserver sa position dans le cloud ?

Tout le monde court derrière Amazon Web Services (AWS). Depuis que la filiale informatique du géant de l'e-commerce a ouvert en pionnier le marché de la location de serveurs de stockage de données par Internet en 2006, Microsoft, Google, Alibaba, IBM et même Oracle sont venus lui grignoter du terrain.

Dans un secteur qui enregistre depuis une décennie une croissance phénoménale (+40 % par an minimum), AWS avait résisté à tous les assauts sous la houlette d'Andy Jassy - qui remplace Jeff Bezos à la tête de la maison mère. Pour son successeur, Adam Selipsky, l'enjeu sera donc de conserver la pole position dans l'après-pandémie qui profite à plein à tout le secteur.

Avec 34 % de part de marché d'après Synergy Research, AWS pourrait sembler à l'abri du danger. Mais dans ce combat de titans, son premier adversaire, Microsoft, vient de dépasser la barre des 20 % de parts de marché. « Dans les entreprises traditionnelles, Microsoft et Amazon sont désormais à parts égales », note Jérôme Dilouya, le PDG d'Intercloud, un spécialiste des communications de données entre différentes plateformes.

Mais Amazon a encore une pièce maîtresse dans son jeu. « AWS est largement dominant auprès des sociétés technologiques qui sont les plus gros clients du cloud », poursuit l'expert. Le site de vidéo Netflix lâche, par exemple, plus de 10 millions de dollars par mois à Amazon. C'est ce qu'un grand industriel ou une grande banque dépense dans ces technologies… en un an.

« Il est difficile d'envisager un scénario de court terme où AWS perdrait sa première place », estime Daniel Newman, analyste pour Futurum Research. Loin de s'endormir sur ses lauriers, AWS coupe les ailes de la concurrence en multipliant les services sur sa plateforme, notamment en matière d'intelligence artificielle et d'outils pour les développeurs. « AWS a des années-lumière d'avance », pointe David Larose, le directeur informatique de la ville de Drancy et fin connaisseur du marché. Mais rien ne décourageant les adversaires d'AWS aux poches profondes, tous les observateurs s'attendent à une compétition acharnée.

Amazon va-t-il s'imposer dans les droits audiovisuels du sport ?

« Quand on gagne un Golden Globe [pour une série télé], cela nous aide à vendre plus de chaussures », indiquait Jeff Bezos en 2016. C'est la même logique qui s'applique aux contenus sportifs de Prime Video, la plateforme de vidéo par abonnement du groupe. Si un fan de football s'abonne à Prime pour 50 euros par an dans le but de voir PSG-OM, il achètera davantage sur le site, qui le livrera le lendemain.

Pour ses concurrents « pure players » de l'audiovisuel comme les télévisions payantes de type Canal+, il est rageant, voire totalement injuste, qu'Amazon puisse subventionner ses achats de droits de retransmission de sport par les commissions de l'e-commerce. En attendant, le géant de Seattle, qui a fait son entrée dans les droits sportifs en 2017 plutôt prudemment, accélère ses investissements.

La France est devenue récemment un cas d'école. A la surprise générale, Amazon vient d'acquérir 80 % des matchs de la Ligue 1 de football contre 250 millions d'euros, au grand dam de Canal+. La société s'était déjà déployée dans le ballon rond en Allemagne, en Italie et en Angleterre, mais jamais à ce niveau.

Aux Etats-Unis, elle a remporté en mars l'importante soirée du jeudi de football américain (NFL) pour plus d'un milliard de dollars par an pendant dix ans, un décuplement par rapport à ce qui était payé auparavant.

A côté de ces sports générant beaucoup d'abonnements, Amazon s'est aussi agrandi dans la diffusion du tennis. Sa plateforme retransmettait cette année une partie de Roland-Garros avec France Télévisions. En Nouvelle-Zélande et en Inde, elle diffuse du cricket.

Le sport en direct est un coût marketing qui peut donc s'arrêter une fois que le site a atteint son potentiel d'abonnés Prime. En France, son offre valorise toute la Ligue 1 un quart de son prix de 2018, car la défaillance de Mediapro a créé une opportunité sans précédent. Sa présence à la prochaine enchère sera scrutée avec une grande attention. Mais pour l'instant, comme le montre aussi le rachat des studios et catalogues MGM pour 8,5 milliards de dollars, Prime Video semble donner toute satisfaction à la très riche société.

Amazon va-t-il révolutionner le secteur de la santé ?

Ce n'est pas nouveau, mais les ambitions du géant, en la matière, se précisent. Ce fut l'un des derniers chantiers de Jeff Bezos en tant que PDG : Amazon a ouvert en fin d'année dernière sa pharmacie en ligne, qui vend des médicaments sous ordonnance. Grâce à son système logistique, il est capable de les expédier à domicile en quelques heures, bousculant les pharmacies traditionnelles.

Dans la foulée, le géant a lancé une plateforme de consultation médicale en vidéo, accessible aux entreprises partenaires, qui doit être étendue cet été à tous les Etats américains, et un service de prise de rendez-vous physique, accessible à ses salariés et ouvert dans les prochaines semaines à quelques métropoles.

En revanche, Amazon a dû reculer, pour le moment, dans le domaine de l'assurance-santé. Il avait lancé avec la banque JP Morgan et l'assureur Berkshire Hathaway une couverture santé pour les salariés des trois groupes, qui devait faire baisser le coût des soins. Mais le projet a échoué, moins de trois ans après son lancement. Pour mieux revenir ? En étant présent sur plusieurs segments, Amazon dispose déjà de données précieuses en matière de santé, sur les habitudes de consommation et le réseau de professionnels.

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