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Photo du rédacteurThierry Bardy

Bienvenue dans la ville du futur


Le monde s'est transformé depuis la pandémie des années 2020. Les métropoles européennes, en première ligne des grandes mutations de cette moitié de siècle, ont changé de visage. Voyage dans la ville de demain.

Nous sommes en 2041. Il s'en est passé des choses depuis la grande crise sanitaire des années 2020. Le travail s'est transformé en profondeur. L'augmentation de la population mondiale a créé de nouveaux déséquilibres. Les transports ont fait leur énième révolution. Le numérique est désormais… partout. Et, bien sûr, le climat s'est déréglé, en dépit des multiples alertes lancées par la communauté scientifique depuis la fin des années 1980.

Les villes, qui abritent désormais les deux tiers de l'humanité, n'ont pas échappé à ces profondes mutations. Cela est flagrant en Europe. Ces vingt dernières années, les métropoles du Vieux Continent, pour s'adapter à ces changements ou, plus simplement, répondre aux nouvelles aspirations des citoyens, ont changé de visage. En 2041, les cités européennes ont pour la plupart tiré les leçons des canicules suffocantes de la période 2000-2020. Rien qu'en France, 17 épisodes d'intense chaleur avaient été recensés sur ce laps de temps, avec un record de température à 45,9 °C en 2019. Désormais, quand le mercure explose, les métropoles chauffent… mais n'étouffent plus. La végétalisation y est pour beaucoup. Les arbres, plantés en masse entre 2010 et 2020 pour des raisons électorales, arrivent en cette année 2041 à pleine maturité. Non seulement ils sont assez développés pour produire de l'ombre, mais, en plus, ils recrachent chacun jusqu'à 450 litres d'eau par jour, sous forme de vapeur. Cette eau rafraîchit l'air quand le thermomètre grimpe. D'après plusieurs ingénieurs, cela équivaut à cinq climatiseurs qui tourneraient pendant vingt heures.

La guerre contre le bitume, menée ces dernières années, porte également ses fruits. Les Lyonnais,qui l'ont déclaré il y a trente ans, ne le regrettent pas. D'abord parce que le retrait de ce matériau des places trop minérales et des trottoirs les plus larges prévient aujourd'hui la création d'îlots de chaleur. Le bitume est en effet connu pour emmagasiner la chaleur du soleil le jour et la rejeter la nuit.

L'autre bénéfice tient du fait que les bandes enherbées, parcelles jardinées, dalles et autres pavés poreux qui le remplacent laissent enfin l'eau de pluie infiltrer le sol. Quand le soleil cogne, l'eau stockée ressort sous la forme de vapeur, ce qui, comme pour les arbres, rafraîchit l'air ambiant. Les villes ont par ailleurs revu leurs plans d'urbanisme. Comme à Stuttgart depuis maintenant soixante ans, on évite de faire obstacle aux couloirs naturels de flux d'air froid, un climatiseur certifié 100 % naturel. Les nouvelles constructions sont disposées en quinconce pour laisser passer le vent. Les toits des immeubles façon 2041 parachèvent ce quadriptyque de la ville résistante aux canicules. Bien inspirées de Los Angeles, les métropoles ont imposé la couleur blanche afin de réfléchir la lumière du soleil et ainsi éviter que les toits n'emmagasinent trop de chaleur. Par une journée ensoleillée de 26 °C, la température plafonne à 45 °C. Les toits sombres, bien plus fréquents il y a vingt ans, pouvaient grimper jusqu'à 80 degrés !

La cité de cette moitié de XXIe siècle compte bien plus d'habitants au mètre carré qu'au début des années 2000. Pour résorber la crise du logement, des villes comme Paris ont « déplafonné » la hauteur des constructions dans les arrondissements les plus éloignés du centre historique, à l'image du quartier Clichy-Batignolles et ses tours d'habitation de 50 mètres. Ce n'est certes pas Manhattan-sur-Seine, mais la « skyline » parisienne a bien changé. Dans les banlieues proches, comme à Vanves, on détruit les dernières maisons de ville pour y construire des immeubles de 4 à 6 étages.

En plus de la crise du logement, la lutte contre l'étalement urbain a rendu impératif la densification des métropoles. Dans les années 2010, 20.000 hectares de terres agricoles, prairies et forêts étaient chaque année recouverts de pavillons et de centres commerciaux. La loi biodiversité de 2018 et son « zéro artificialisation nette en 2050 » avait dû mettre le holà. Si rien n'avait été entrepris, la France aurait bitumé et bétonisé en 2030 une surface équivalente à celle du Luxembourg. La révolution du télétravail, déclenchée par le Covid-19, a transformé la demande immobilière. En 2041, les cadres d'entreprise louent ou achètent plus grand qu'il y a vingt ans pour se recréer à domicile le bureau individuel qu'ils ont perdu « sur site » depuis que le flex office est devenu la norme dans le tertiaire.

Plus denses, plus hautes

De leur côté, les entreprises du secteur des services plébiscitent les immeubles flambant neufs, très bien localisés, avec des espaces collaboratifs et du mobilier adapté aux pratiques productives plus nomades et plus numériques. Les nouveaux gratte-ciel, qui poussent d'ailleurs comme des champignons, répondent à ces exigences, à l'image de la tour Occitanie (153,5 mètres) de Toulouse ou les tours Silex 2 (129 mètres) et To-Lyon (171 mètres) de la capitale des Gaules.

Avec la révolution du télétravail, l'utopique « ville du quart d'heure » est devenue réalité. Ce projet d'urbanisme, comme chacun le sait en 2041, désigne une cité dans laquelle l'on trouve tout ce dont on a besoin à moins de quinze minutes de chez soi, à pied ou à vélo. La ville des proximités, à l'époque qualifiée de « fantasme pour bobos », est issue des travaux du prospectiviste Carlos Moreno. Ce professeur franco-colombien estimait que si l'on rapprochait six fonctions sociales incontournables de notre quotidien (se loger et « produire dignement », accéder aux soins, s'approvisionner, apprendre et s'épanouir) alors on « incrémentait » le bonheur des habitants.

Le travail à distance, en libérant les employés de bureau des fameux trajets domicile-bureau, a donné un sacré coup de pouce à ce projet urbain. Les équipes municipales se sont chargées du reste. Certaines en partant d'une feuille blanche. Souvenez-vous, Nantes (Loire-Atlantique), à partir de 2012, déployait sur un ancien site industriel un nouveau quartier tout-en-un (Prairie-au-Duc) pensé dès le départ pour réduire au maximum les déplacements de ses résidents grâce au panachage des services de proximité : école, lieux de loisirs, de santé, logements, restaurants, bureaux…

D'autres municipalités, comme Paris, où le foncier était trop rare, l'ont joué malin. La capitale a transformé certains lieux en espaces multifonctionnels. Les cours de récréation des écoles sont ouvertes aux flâneurs le week-end. Certains gymnases se transforment en discothèque la nuit. Les bibliothèques municipales font aussi espace de travail collaboratif, à la WeWork.

L'une des transformations marquantes concerne la mobilité. Il n'a jamais été aussi simple de se déplacer en ville qu'en 2041. Un seul acteur de la mobilité urbaine donne accès à l'ensemble des moyens de transport disponibles : vélos et trottinettes en libre-service, taxis et VTC en plus des bus, tramways et métros. Fini la jungle des applications sur nos smartphones. Il en aura fallu du temps pour copier la start-up Whim qui prospère à Helsinki depuis 2014 avec cette offre numérique « tout-en-un » !

On y voit enfin circuler sur la chaussée les fameux véhicules autonomes, promis depuis belle lurette. Ce sont en fait pour la plupart des minibus sans chauffeur que les utilisateurs appellent via leur application unique. La navette les récupère et les dépose à l'endroit demandé, à la façon d'un UberPOOL. Les Anglo-Saxons parlent, eux, de « on-demand-transit ».

Autre évolution marquante, la quasi-disparition de la voiture individuelle dans le coeur des grandes villes. Thermiques ou pas, Amsterdam les a bannies du vieux centre. Barcelone a étendu ses « superilles », ces miniquartiers quasiment imperméables à la voiture. Paris a fini par piétonniser son centre historique. Seuls les riverains, les taxis, les artisans et les commerçants du quartier peuvent encore rouler sur la chaussée, mais à condition de tourner à l'électrique ou à l'hydrogène. Les places de stationnement en extérieur ont été supprimées de l'hypercentre. L'espace repris à la voiture permet d'élargir les trottoirs. Des bancs publics sont plantés un peu partout permettant aux personnes âgées de faire des pauses pendant leurs déplacements à pied. Des marelles sont dessinées sur le sol afin de divertir les enfants. Le reste des places est transformé en pistes cyclables ou remplacé tantôt par des arceaux, tantôt par des abris à vélo sécurisés.

La ville de 2041, plus que tout, est une ville intelligente. Elle s'appuie sur les objets connectés, la robotique et le traitement des données pour améliorer la vie des citadins.

Comme à Copenhague, l'un des pionniers européens, les poubelles de rue sont équipées de capteurs qui indiquent aux camions-bennes où et quand passer. L'éclairage public s'adapte à la luminosité d'une nuit de pleine Lune ou d'une après-midi orageuse, comme à Santander. Ou encore, des feux de signalisation intelligents, reliés à des capteurs, régulent la circulation pour éviter les embouteillages. Voilà pour la partie émergée de l'iceberg.

En souterrain, les réseaux électriques intelligents - aussi appelé « smart grids » - ajustent la demande d'électricité des citadins à l'offre pour que les fournisseurs injectent dans le réseau la juste quantité d'électricité nécessaire. Côté canalisation d'eau, des capteurs intelligents détectent et alertent les services de maintenance quand il y a une fuite. Dans les jardins publics, on arrose seulement quand la végétation en a vraiment besoin. Des capteurs d'humidité sont directement reliés à l'arroseur automatique. Toutes ces applications concrètes de la « smart city » rendent la ville bien plus pratique, économe et respectueuse de l'environnement. Mais c'est seulement parce que les données sont collectées et gérées par la puissance publique que cette transformation suscite l'adhésion.

En 2020, Google avait dûrenoncer à son projet de quartier intelligent à Toronto face à la vive opposition de la population. Celle-ci émettait de sérieux doutes sur l'utilisation des données collectées par le géant du numérique. Pas de ville intelligente sans confiance.

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