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Photo du rédacteurThierry Bardy

ChatGPT : un défi lancé à l'Europe



Gilles Babinet


Probablement nulle part ailleurs qu'en France, l'apparition de ChatGPT - ce commentateur savant mû par une intelligence artificielle (IA) - n'a fait l'objet d'autant de commentaires acrimonieux : menace pour une infinité d'emplois, du journaliste à l'agent de centre d'appels en passant par le médecin, pour les professeurs qui ne sauront plus distinguer la copie de l'élève studieux (mais peu original) de la machine savante, etc. Une inquiétude qui semble refléter l'inquiétude générale de nos concitoyens face au progrès en général, car c'est bien de cela qu'il s'agit.

Il convient avant tout de saluer une formidable avancée, une démonstration radicale de la puissance de l'innovation de rupture. Car ce qui doit être célébré, c'est la vision devenue réalité de deux personnes, l'un fondateur du plus grand incubateur de start-up à succès au monde (Sam Atman, fondateur du Y Combinator) et l'autre, plus connue : Elon Musk.

Le génie ici, ce n'est pas d'avoir cru à l'IA en soi. C'est d'avoir perçu qu'il y avait un gain exponentiel à faire un niveau d'investissement significatif, se chiffrant probablement un peu au-delà de 100 millions de dollars, pour implémenter et entraîner une architecture technologique d'un nouveau type. Les résultats sont si spectaculaires que certains analystes imaginent désormais Google mis en difficulté sur son métier de base, le moteur de recherche, et Bing revenir dans la course en adoptant ChatGPT.

S'il fallait une preuve que les technologies informationnelles sont composées de grands cycles régulièrement remis en cause par l'avènement de nouvelles technologies, en voici une, éclatante. À nous, Européens, cela devrait inspirer plusieurs réflexions. La première : ChatGPT aurait-il pu être européen ? Oui, sur le plan technologique ; non, sur celui de l'audace et du financement. La deuxième : saurons-nous à présent nous en emparer ? Sans doute pas au niveau qu'il conviendrait tant que nous ne résoudrons pas les enjeux de financement du risque inhérent à ce qui est fondamentalement nouveau.

Les réponses à ces questions sont d'ordre quasi existentiel pour l'Europe, car seules des technologies de rupture, l'IA en tête, seront capables de fournir les gains de productivité et les systèmes à même d'affronter un monde devenu plus incertain en raison de facteurs environnementaux et géopolitiques nouveaux.

L'agriculture décarbonée, les chaînes logistiques résilientes, les logements bas carbone, les systèmes d'armes capables de protéger l'espace européen, supposeront une dose importante d'IA.

En 2000, l'Europe avait arrêté l'Agenda de Lisbonne : une perspective dans laquelle elle devait devenir en quelques décennies le premier lieu de R&D dans le monde. En ayant privilégié un système économique et social où la sécurité passe avant l'aptitude au risque, où l'innovation incrémentale prime sur l'innovation de rupture, l'Europe se retrouve à la traîne, derrière la Chine et les Etats-Unis. Si l'on ne réorganise pas notre système de recherche, la façon dont le capital est affecté ou la régulation de la donnée, le décrochage sera inévitable.

Il faudra cependant accepter de rentrer dans une nouvelle ère où ce ne seront plus des processus industriels inventés au XIXe siècle qui caractériseront la création de valeur, mais des principes à base de données, et où l'origine de la causalité ne sera souvent plus possible à expliquer : une remise en cause compliquée pour certaines formes de conservatisme européen.

Cette difficulté à dépasser le cadre établi est d'autant plus dommageable que ces technologies restent ouvertes à toutes et à tous, et que l'Europe - et la France en particulier - continuent à disposer d'une expertise mathématique et scientifique que le monde entier nous envie.

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