Emmanuel MillardFrançois Stragier
Le temps presse. Dans moins de deux ans, 50.000 entreprises européennes devront avoir adopté de nouvelles normes d'information extra-financière. Impact sur le climat, capacité d'adaptation au changement climatique, consommation, mix énergétique… La directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, adoptée fin 2022 par le Parlement européen, obligera ces dernières à communiquer clairement les données environnementales qui comptent pour les marchés financiers. Elles devront, en outre, collecter aussi ce type d'informations auprès de leurs fournisseurs partout dans le monde.
Si la plupart des entreprises concernées annoncent des objectifs ambitieux en termes de développement durable, il s'avère qu'elles ont encore du mal à évaluer les progrès accomplis. Selon une récente étude menée par le Boston Consulting Group, seules 10 % des entreprises savent mesurer précisément leurs émissions de CO2. Il faut reconnaître qu'elles n'étaient pas vraiment aidées, jusqu'à présent, par la multiplicité des standards existants. La nouvelle réglementation devrait aider à clarifier la situation de ce point de vue, même si deux organismes demeurent en compétition dans la définition des normes à adopter, l'European Financial Reporting Advisory Group d'un côté et l'International Sustainability Standards Board de l'autre. Ces normes, quivont probablement cohabiter un certain temps, devraient permettre l'adoption d'une véritable « comptabilité carbone », avec trois objectifs : définir un budget, mesurer sans oubli ni double comptage et piloter l'atteinte d'objectifs clairs. Ainsi, selon une enquête menée début 2023, 67 % des grands groupes entendent renforcer leur « comptabilité environnement » dans les mois qui viennent, de même pour 43 % des PME. Mais il reste du chemin à parcourir : toutes tailles confondues, seules 5 % des entreprises estiment être vraiment mûres sur ce sujet.
Sur qui devra reposer la responsabilité de cette nouvelle forme de comptabilité ? L'enquête montre que les directeurs financiers et les directeurs du développement durable sont alignés sur l'essentiel. Les entreprises ont besoin de chiffres fiables et peuvent s'appuyer sur les savoir-faire des métiers de la finance, qui se trouvent être parfaitement adaptés à la comptabilité environnementale.
Elles ont tout intérêt à réutiliser les processus et les outils qui existent déjà, et aussi mettre à profit les compétences des contrôleurs de gestion, en les formant au développement durable. Cela suppose de mettre au point un modèle opérationnel qui réponde aux enjeux des directeurs financiers et des directeurs développement durable. Une piste à suivre serait, dans les grands groupes, de composer une équipe centrale de contrôleurs de gestion exclusivement consacrés au développement durable, qui s'appuierait sur des contrôleurs de gestion « mixtes » dans les filiales ou les usines. Les investissements nécessaires à la transition écologique se chiffrent en milliers de milliards de dollars, mais sont pour l'heure mal gérés, par manque de rigueur ou le plus souvent de moyens. Les obligations réglementaires arrivent.
Face à elles, se contenter de faire le strict minimum est une option. Cela coûte de l'argent et ne rapporte rien. Mais il est aussi possible de choisir d'en faire une opportunité, en dépensant peut-être davantage et en créant également de la valeur. C'est l'occasion de revoir la manière dont l'organisation pilote sa performance, ou encore de favoriser la collaboration entre équipes pour mettre au point des produits écoconçus de bout en bout. En tout état de cause, les entreprises vont devoir faire évoluer à grande vitesse leur gouvernance, former les équipes, adapter leurs process et leurs outils. La collecte des données environnementales commence le 1er janvier 2024. Le compte à rebours est enclenché.
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