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Photo du rédacteurThierry Bardy

Emploi : quand l'entreprise tue la valeur travail


Jean Pralong


Les difficultés de recrutement sont désormais perçues par les entreprises comme l'un des obstacles majeurs à leur performance. En cause, la difficulté à trouver des postulants. Mais où sont donc passés les candidats ? Faut-il s'en prendre aux nouvelles générations, qui redoubleraient d'exigence ? Aucune étude sérieuse ne l'a démontré.

La natalité ? Certes, il nous manque près de 10 % d'actifs en comparaison avec les autres pays de l'OCDE. Le confinement et le télétravail, qui auraient fait du tort la « valeur travail » ? Les données de Pôle emploi recensent, en moyenne, 5 fois plus de demandeurs d'emploi que d'offres. Dit autrement, 5 candidats compétents et à la recherche active d'un emploi sont disponibles pour chaque poste à pourvoir. Il existe donc bien un stock de candidats qualifiés correspondant aux offres à pourvoir. Conclusion (provisoire) : la pénurie concerne plutôt les candidatures que les candidats. La différence n'est pas qu'une nuance rhétorique. Il est intellectuellement simple, mais empiriquement faux, de considérer que les individus recherchent des emplois correspondant à leur qualification.

Une des réalités méconnues du marché du travail est la hausse du nombre de candidats qui recherchent et acceptent un emploi hors de leur domaine de qualification. Le taux qui le mesure était de 13 % en 2015. En 2022, il est de 19 % en moyenne, mais il atteint 22 % dans le cas des diplômés de bac à bac +3. La plupart d'entre eux s'orientent vers des emplois moins qualifiés, en général après deux ou trois expériences liées, elles, à leur formation. La cause ? Le rejet des conditions dans lesquelles les compétences sont reconnues et utilisées par les entreprises.

Ce n'est pas par hasard si ces individus, qui se détournent de leur métier, appartiennent au groupe des techniciens et des techniciens supérieurs. Cette population est sans doute celle qui est le plus confrontée à la mise en process du travail.

Ces pratiques, qui entendent encadrer le travail afin de le simplifier, d'en garantir la qualité et, peut-être, de stimuler des performances qui sinon ne seraient pas présentes, créent du travail empêché. Elles interdisent cette part d'effort qu'on aimerait fournir pour bien faire et créent une pénibilité invisible mais bien réelle.

L'éthique productive, ou l'idée de ce qu'est le travail bien fait, déborde un peu, beaucoup ou passionnément du cadre imposé par l'organisation prescrite du travail. C'est finalement l'idée que l'entreprise et ses process ne permettront pas de travailler à la hauteur de son éthique professionnelle qui crée une évaporation de candidats qualifiés. On les retrouve alors dans des emplois purement alimentaires où, pensent-ils, ils ne seront pas déçus puisqu'ils n'auront rien espéré.

D'un côté, l'organisation, les process et les méthodes éloignent chaque jour un peu plus les travailleurs de leur définition du travail bien fait. De l'autre, « le sens au travail » est questionné ad nauseam. Qui ne voit pas le paradoxe et, peut-être, l'incompatibilité radicale entre ces deux logiques ?

C'est la mise en process du travail qui retire aux individus la possibilité d'y investir leurs compétences, leur besoin de faire bien et, finalement, leur besoin de sens. La raréfaction des candidats n'est donc pas imputable à un rejet de la valeur travail : c'est même exactement l'inverse.

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