Par Perrine Mouterde
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) présente des scénarios énergétiques pour 2050 allant d’une option misant fortement sur la sobriété à une autre pariant sur les innovations.
C’est une contribution supplémentaire qui viendra alimenter le débat riche et complexe sur l’atteinte de la neutralité carbone. Après l’association négaWatt et le gestionnaire national du Réseau de transport d’électricité (RTE), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) présente à son tour ses travaux prospectifs articulés autour de quatre scénarios, allant d’une option misant fortement sur la sobriété à une autre axée sur les innovations technologiques.
Les premières conclusions de cette étude intitulée « Transition(s) 2050 », publiées mardi 30 novembre à l’issue de deux ans de travaux, seront complétées par une série de publications thématiques attendue début 2022.
L’établissement public, placé sous la double tutelle des ministères de la transition écologique et de la recherche, part d’un constat : si les tendances actuelles se poursuivent, les émissions de gaz à effet de serre de la France n’auront pas diminué suffisamment en 2050 pour qu’elle atteigne – comme elle s’y est engagée – la neutralité carbone.
Pour y parvenir, l’Ademe dessine donc plusieurs voies possibles. A la différence des travaux de RTE, qui portent uniquement sur le système électrique, elle s’intéresse à des schémas globaux couvrant aussi bien les secteurs du bâtiment, de la mobilité, de l’alimentation, de l’agriculture, des forêts ou de l’industrie que de l’énergie. « Préserver le monde vivant, par exemple, est indispensable pour atteindre la neutralité carbone, notamment grâce au stockage de CO2 et à la production de biomasse, explique David Marchal, directeur exécutif adjoint expertises et programmes. Tous ces leviers sont interconnectés. »
Alors que le débat public se concentre largement sur la question des énergies renouvelables et du nucléaire et que le président Emmanuel Macron a annoncé vouloir construire de nouveaux réacteurs, l’Ademe espère élargir le champ des discussions. « La neutralité carbone va bien au-delà de la question énergétique ou de savoir s’il faut construire des EPR, assure Arnaud Leroy, le PDG de l’Ademe. Cela implique des choix de société en termes de gouvernance, de fiscalité, de centralisation ou décentralisation, de régime alimentaire… »
« Génération frugale »
Ces choix de société sont bien au cœur des quatre trajectoires. Pour réduire leur consommation d’énergie au cours des trois prochaines décennies, les Français sont-ils prêts à miser sur la sobriété, au prix de changements radicaux de leurs habitudes, ou préfèrent-ils parier sur le développement de nouvelles technologies et continuer à vivre peu ou prou de la même façon qu’aujourd’hui ?
Le scénario le plus sobre, baptisé « génération frugale », implique des évolutions sociétales majeures. Réduction forte des trajets parcourus, division par trois de la consommation de viande, limitation des constructions neuves, logements vacants et résidences secondaires transformées en résidences principales, industrie centrée sur le « made in France »…
Pour mettre en place ces nouvelles pratiques, l’Ademe explique que la contrainte sera nécessaire, par le biais d’interdictions, des quotas et des rationnements. Dans ce scénario, la nature est sanctuarisée et les modifications des pratiques agricoles et forestières permettent une augmentation significative du recours aux puits de carbone naturels – les prairies et les forêts absorbent le carbone présent dans l’atmosphère.
A l’autre bout du spectre, le scénario du « pari réparateur » mise sur les innovations technologiques pour permettre à la consommation de masse de se poursuivre. L’achat de viande reste quasi stable, les mobilités s’accroissent avec des véhicules électriques, seule la moitié des logements est rénovée à un niveau « basse consommation »… Les émissions de gaz à effet de serre restant élevées, les puits « technologiques » doivent compléter les puits naturels, par des techniques de captage et de stockage de CO2.
Expliquer les contraintes
L’Agence de la transition écologique l’admet : ces deux scénarios « extrêmes » posent de véritables défis. Le premier « fait courir le risque de clivages forts, voire violents, au sein de la société », alors que le second repose sur un pari, les techniques de captage et de stockage de CO2 dans l’air n’en étant qu’au stade du prototype.
« Ces deux scénarios marquent d’une certaine façon les limites à ne pas dépasser, précise Fabrice Boissier, le directeur général délégué de l’Ademe. Nous ne faisons pas de choix entre les trajectoires, nous essayons d’expliquer quelles sont les contraintes et les conséquences de chaque décision. »
Si tous ces scénarios doivent permettre d’atteindre la neutralité carbone, leurs impacts en termes de pressions sur les ressources naturelles, de réduction des quantités de déchets produits ou de mobilisation de la biomasse varient significativement.
Plus ou moins de sobriété implique aussi des besoins en énergie différents : l’Ademe envisage des baisses allant de – 55 % (790 térawattheures, TWh) pour le scénario le plus sobre à – 23 % (1 287 TWh) pour le plus technophile. Actuellement, la stratégie nationale bas carbone, feuille de route gouvernementale, prévoit une division par deux de la consommation globale d’énergie d’ici à 2050 pour atteindre 930 TWh, contre environ 1 600 aujourd’hui.
Sans surprise, l’Ademe souligne, comme RTE et négaWatt, que la part de l’électricité va croître et que les énergies renouvelables joueront un rôle majeur en 2050 – elles représentent plus de 70 % du mix énergétique dans les quatre scénarios. Si l’agence ne détaillera le résultat de ses travaux concernant le système électrique qu’en début d’année, elle assure que ceux-ci seront cohérents avec ceux de RTE.
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