Après l'irruption de ChatGPT, des doutes existentiels émergeaient fin 2023 sur le déploiement de l'IA. L'année 2024 a démenti les Cassandre, analyse Sylvain
Par Sylvain Duranton (directeur monde de BCG X, l’entité Tech du BCG )
L'année 2023 s'était achevée en fanfare pour l'Intelligence artificielle (IA). OpenAI et son large modèle ChatGPT s'étaient répandus comme un feu follet dans les salles de presse et les comités de direction des entreprises. Dès décembre, son API publique comptait plus de 200 millions d'utilisateurs présumés actifs.
Cependant, des doutes existentiels émergeaient sur l'avenir de cette technologie. Les Cassandre insistaient sur le faible usage en milieu professionnel, avec fin 2023 plus de 90 % des entreprises qui interdisaient activement l'usage d'Open AI. Ensuite, les « hallucinations » - buzzword de l'année 2023 - ont défrayé la chronique. Et effectivement, Chat GPT affirmait bien que les oeufs de vaches étaient bleus, contrairement aux oeufs de poule… compromettant son déploiement en entreprise.
Prophètes de malheur
Pire, OpenAI, adossé à Microsoft, faisait cavalier seul au risque de voir se créer un nouvel écosystème monopolistique dans les technologies. Enfin, les prophètes de malheur ont tant parlé des risques qu'un appel à mettre en pause la recherche dans le domaine a été signé par des centaines de personnalités, alors même que la réglementation européenne de l'IA, qui devait rassurer en cadrant les usages, tardait à être publiée.
L'année 2024 a démenti les Cassandre ! Sur le plan des usages, plus de 90 % des entreprises encouragent désormais activement l'utilisation de l'IA générative. D'ailleurs, 29 % d'entre elles ont déjà formé plus de 25 % de leurs salariés. Cerise sur le gâteau, 58 % des utilisateurs réguliers en entreprise déclarent gagner au moins cinq heures par semaine, et pas n'importe lesquelles… les plus fastidieuses ! Pour les salariés, ce temps gagné est une aubaine pour consacrer plus de temps aux tâches qu'ils préfèrent, créer plus de lien social avec leurs collègues ou bien passer plus de temps en famille.
Solutions clients
Le cataclysme annoncé des « hallucinations » a fait long feu. Pourquoi ? Les entreprises utilisent les larges modèles pour leur capacité d'interaction, d'analyse et de synthèse. En revanche, les données utilisées par les modèles pour construire leurs réponses sont des données propriétaires et mises en qualité. D'ailleurs, des solutions à base d'IA générative dialoguent avec des millions de clients aujourd'hui, génèrent des appels d'offres, des documents de conformité… La clef : respecter un rigoureux protocole de test, calibrage, expérimentation avant tout déploiement à l'échelle.`
Sur le plan concurrentiel, là encore, le jeu a radicalement changé. OpenAI - et les Etats-Unis - ne font plus cavalier seul. D'autres grands de la technologie américaine ont lancé leurs propres modèles : Gemini (Google), Llama (Meta), Grok (X). Des nouveaux venus ont fait une entrée remarquée, comme l'américain Anthropic et le français Mistral, valorisé à 6 milliards d'euros dix-huit mois après son lancement. Record à battre ! Le Sud global n'est pas en reste, avec 01.AI en Chine, ALLaM au Moyen-Orient ou Bharat en Inde. Aujourd'hui, des solutions commerciales ou Open Source offrent de nombreuses alternatives.
Les promesses de 2025
La recherche dans le domaine de l'IA générative n'a évidemment pas connu de moratoire et le cadre réglementaire a commencé à se stabiliser avec la publication, le 21 mai 2024, de l' AI Act par le Parlement européen. Le monde économique est resté perplexe face à un texte qui recherche un équilibre entre la nécessité bien comprise de protéger les personnes et celle de laisser les acteurs économiques innover et déployer des solutions. Quoi qu'elles pensent du texte actuel, les entreprises doivent se mobiliser pour la deuxième mi-temps législative, celle qui va consister à décliner la réglementation par secteurs d'activité. La réglementation européenne sera en partie déterminée par l'effort et les ressources que les entreprises consentiront pour la co-construire avec le régulateur.
L'année 2025 est déjà pleine de promesses. Même si seulement 24 % des entreprises matérialisent des gains très significatifs grâce à l'IA, son déploiement est l'une des trois priorités absolues stratégiques pour 74 % d'entre elles… Décidément, les entreprises croient à l'IA ! D'ailleurs, l'innovation continue dans le domaine, avec une nouvelle génération de modèles capables de résoudre des problèmes plus complexes en les décomposant en sous problèmes.
Autre innovation, des systèmes pour faciliter l'utilisation de l'IA générative dans la robotique. Enfin, les « agents » - prière de prendre note du futur buzzword de 2025 ! - vont encapsuler la puissance de l'IA générative dans des systèmes autonomes capables de s'adapter à des situations complexes. Même les « transformers », les algorithmes à la base des larges modèles d'aujourd'hui, sont en passe d'être rendus obsolètes par des cousins encore plus performants…
Aucune ombre au tableau ? Si bien sûr, le coût des modèles, la cybersécurité, les utilisations malveillantes… sujets classiques pour toute nouvelle technologie. Mais la véritable ombre au tableau - propre à l'IA - est sa voracité énergétique. L'explosion des usages fait craindre une explosion insurmontable de la consommation d'énergie. L'industrie innove, avec des puces, des data centers, des modèles moins gourmands… La course entre gains d'efficacité énergétique et augmentation de la consommation est lancée, elle se résoudra par l'innovation, le prix ou la réglementation.
Sylvain Duranton est directeur monde de BCG X, l'entité Tech du BCG.
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