Sébastien Dumoulin Raphaël Balenieri
Les expérimentations ou la construction de réseaux mobiles privés par les entreprises tricolores restent peu nombreuses. Une situation qui contraste avec celles de l'Allemagne ou de la Chine.
Un an après son lancement en France, la 5G n'a pas encore trouvé son public. C'est vrai des particuliers, mais plus encore des industriels français. Ils ne sont aujourd'hui guère plus d'une poignée à tester la 5G, dont les caractéristiques - débits élevés, faible latence et sécurité - étaient pourtant censées répondre particulièrement bien aux besoins des entreprises. « Si on se compare à deux grands pays industriels que sont l'Allemagne et la Chine, la France est factuellement très loin derrière », souligne Guillaume de Lavallade, le directeur général de HubOne, une filiale du groupe Aéroports de Paris (ADP) spécialisée dans le déploiement et l'exploitation de réseaux mobiles professionnels. « Il y avait 80 projets 5G industriels en Allemagne en 2020, et 140 aujourd'hui, relevait ce spécialiste lors d'une conférence organisée par 'Les Echos' la semaine dernière. En France, il y a une douzaine de projets de réseaux privés déposés auprès de l'Arcep et environ autant d'expérimentations. On n'est pas dans les mêmes étiages. »
Bien conscient du problème, le gouvernement a confié fin octobre une « mission sur la 5G industrielle » à Philippe Herbert, un ancien investisseur spécialiste du financement de l'industrie. L'objectif est de fournir d'ici à début mars une dizaine de recommandations. La mission se penchera nécessairement sur l'épineuse question des fréquences 5G. Contrairement à l'Allemagne, la France a choisi de ne pas morceler le spectre et de le réserver aux opérateurs télécoms (tout en les obligeant à répondre aux demandes raisonnables des industriels).
Consultation publique
Or là où les fréquences étaient largement mises à disposition de l'industrie, les projets ont davantage fleuri. Au Royaume-Uni, l'Ofcom (le régulateur du secteur) assure avoir déjà distribué 1.200 licences, soit… cent fois plus qu'en France. Début 2022, l'Arcep doit mener une consultation publique sur les futures allocations de fréquences radio. Les industriels pourraient alors donner de la voix. L'attentisme des industriels français tient aussi au fait que la 5G n'est pas encore dotée de tous ses pouvoirs. « La vraie 5G avec toutes ses caractéristiques va se déployer progressivement, explique Gilles Brégant, le directeur général de l'Agence nationale des fréquences (ANFR). La 5G que nous avons aujourd'hui, qui apporte essentiellement du débit, peut convenir aux particuliers, mais peut-être moins aux industriels qui veulent de la latence et de la densité par unité de surface. » D'ici deux ans, l'équation sera différente.
L'émergence de quelques projets de grande envergure peut également rassurer. Sur la dizaine d'industriels qui ont demandé à l'Arcep des fréquences 2,6 GHz pour monter des réseaux 4G, bientôt convertibles en 5G, certains sont ambitieux et déjà avancés.
Les deux aéroports parisiens sont par exemple entièrement couverts par HubOne en extérieur (soit 55 km2). L'intérieur lui sera couvert d'ici la fin 2022 grâce à plus de 1.000 antennes. D'ores et déjà, les véhicules aéroportuaires utilisent le nouveau réseau pour communiquer avec la tour de contrôle. Air France va le tester en début d'année pour effectuer la maintenance de vrais vols et DHL est également client pour ses opérations de logistique.
Autre exemple marquant : EDF, à travers la construction d'un réseau mobile privé expérimental sur la centrale nucléaire du Blayais, il y a un an et demi. 2.000 utilisateurs s'y connectent déjà en simultané chaque semaine, générant 80.000 appels et un Téraoctet de données. L'énergéticien va maintenant équiper chacun de ses 21 sites nucléaires avec une centaine d'antennes sur chaque réacteur. La fin du chantier est prévue dans cinq ans.
Les autorités espèrent que ces premiers grands réseaux privés modernes donneront des idées à d'autres. « La France est un pays efficace mais assez prudent. Rappelez-vous par exemple le temps qu'il a fallu pour que les Français adoptent la pomme de terre et l'astuce de Parmentier, sourit Gilles Brégant. Quand ils verront que la 5G marche, il n'y aura aucun souci pour que les industriels français s'y mettent. »
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