Riva Brinet-Spiesser
Les citoyens, curieux comme passionnés, sont invités à fournir gratuitement des données pour faire avancer la recherche. La méthode gagne ses lettres de noblesse.
Comment suivre l'état de sécheresse des cours d'eau intermittents, ceux qui ne coulent qu'une partie de l'année ? Les observer un à un serait illusoire tant ils sont nombreux. Pourtant, mieux connaître leurs débits et prévoir la manière dont ils vont évoluer est primordial dans un avenir où la ressource en eau s'amenuise.
La solution pourrait venir d'une application pour smartphone, baptisée « DRYrivERS » et pilotée par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Sa simplicité est déroutante : après activation du GPS, chaque citoyen peut indiquer l'état d'un cours d'eau, quel que soit l'endroit où il se trouve dans le monde. La force de l'outil vient ensuite de l'ampleur des données récoltées au fil du temps et de leur exploitation par les hydrologues.
Sortir du modèle descendant
Ce projet illustre un dispositif de « sciences citoyennes » - dites aussi contributives - dans lequel des particuliers, amateurs curieux ou experts passionnés, fournissent gratuitement des données dans l'optique de faire avancer la recherche. Leur importance ne cesse de croître depuis le début des années 2000 à la faveur des outils numériques et de la volonté de chacun d'agir face aux défis environnementaux. « Nous remarquons aussi un souhait de démocratie participative qui dépasse l'effet de mode », souligne Jean-Baptiste Merilhou-Goudard, responsable du pôle sciences en société à l'Inrae. Pourtant, ces nouvelles manières de créer de la science étaient à leurs débuts perçues avec méfiance. « Il y avait une crainte de la numérisation de la recherche, couplée à celle que des citoyens sans connaissances approfondies remplacent les chercheurs », observe Anne Dozières, directrice du programme Vigie-Nature qui regroupe, au Muséum national d'histoire naturelle, 20 observatoires de suivi de la biodiversité .
Il faut dire que ces approches bousculent les habitudes du monde scientifique. L'objectif n'est pas tant de produire de la connaissance que d'animer une communauté de participants et leur permettre de monter en compétences. « Les chercheurs doivent raconter la manière dont ils fabriquent la science », précise Anne Dozières, qui estime que ces méthodes ont aujourd'hui gagné leurs lettres de noblesse : « Nous veillons à la fiabilité de la donnée citoyenne grâce à des systèmes de validation sécurisée et à une prise en compte en amont des taux d'erreurs. » Surtout, ces sciences participatives vont bien au-delà de la « massification » des données, elles donnent accès à des savoirs et des pratiques que les chercheurs ne possèdent pas eux-mêmes.
Ces « savoirs expérientiels » sont encore plus précieux pour l'autre type d'engagement citoyen : la recherche collaborative. Ici, les acteurs sont personnellement concernés par le projet et en tirent bénéfice. Ce courant est né dans les années 1980, lorsque les malades du VIH, organisés en association, se sont rapprochés du monde médical pour tester dans l'urgence les premiers traitements. « Le dialogue qui s'installe entre patients et chercheurs fait surgir des questions inédites », explique Fabian Docagne, responsable du service sciences & société à l'Inserm. Il cite l'exemple de ces femmes qui, traitées pour un cancer du sein, ont raconté souffrir de troubles de mémoire, un problème lié aux traitements qui n'était jusque-là pas pris en compte. « Lorsque l'on sort du cadre habituel, la parole devient plus ouverte et nous accédons à des savoirs qui ne sont pas dans les livres ! »
Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) utilise aussi la recherche collaborative pour qu'agronomes et paysans réfléchissent conjointement à des modes de productions plus durables. Il va même au-delà et déploie ces méthodes à la gouvernance des territoires. Dans des régions enclavées de Tunisie, le projet PACTE inclut habitants, agriculteurs, élus et acteurs de la société civile pour réfléchir à la manière de s'adapter aux changements globaux. « Nous sortons du modèle descendant où le chercheur impose une solution qui n'est pas adaptée au terrain », remarque Sylvain Perret, directeur du département environnements et sociétés au Cirad. Cette manière de travailler permet de poser ensemble le bon diagnostic. Est-ce que depuis son champ, le paysan perçoit le réchauffement climatique de la même manière que le chercheur à dix mille kilomètres de là ?
« Une science au service de la démocratie »
Autre notion essentielle : ces recherches se doivent de générer du changement et d'avoir un effet sur la société. « C'est une science au service de la démocratie », s'enthousiasme le chercheur. Des citoyens mieux formés, pour une démocratie plus forte. Telle est la vision des experts. « Ces programmes, dont certains s'adressent aux plus jeunes, contribuent à l'éducation à la démarche scientifique », estime Anne Dozières. « En proposant des recommandations appuyées par des faits scientifiques, nous contribuons à accroître les compétences des populations », complète Sylvain Perret. « Comme la crise du Covid nous l'a enseigné, l'information scientifique est vecteur de citoyenneté », termine Fabian Docagne.
Une étude menée par Vigie-Nature montre que la mise à disposition des ressources éducatives, davantage consultées par les participants les moins diplômés, contribue directement à une meilleure confiance en la science. Enfin, impliquer des décideurs le plus tôt possible dans ces processus pourrait faciliter la gouvernance de la transition écologique. « Le monde académique se sent aujourd'hui impuissant à éclairer les hommes politiques sur l'urgence de la situation. Être dans le participatif permet de montrer que l'appréhension des problèmes ne vient pas de la seule vision des scientifiques, mais qu'elle inclut aussi la perception des citoyens », analyse Sylvain Perret.
L'Agence nationale de la recherche s'engage aujourd'hui à consacrer 1 % de son budget pour soutenir l'élan autour des sciences et recherches participatives (SRP). Un travail de sensibilisation reste cependant nécessaire pour lever certaines réticences. « Les citoyens perçoivent les chercheurs comme peu accessibles et les scientifiques pensent parfois tout savoir ! Or l'expérience montre que ces rencontres ébranlent ces postures », conclut Fabian Docagne.
Quand l'IA participe
Pionnière des applications utilisant une intelligence artificielle, Pl@ntNet a été créée il y a 10 ans par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) avec 3 autres organismes et recense aujourd'hui plus de 25 millions d'utilisateurs uniques. Elle permet d'identifier une espèce de plantes à partir d'une photo, qui elle-même alimente une base de données. Sa fiabilité repose sur des utilisateurs « experts » qui ont le pouvoir de valider une photo et sur une IA qui se nourrit de ces photos certifiées. « Ce sont les citoyens qui entraînent l'IA. Elle transfère ensuite l'expertise des plus forts à ceux qui débutent, en proposant des noms d'espèces issues de son apprentissage, explique Alexis Joly, coresponsable de Pl@ntNet à l'Inria. À l'avenir, nous aimerions qu'elle puisse orienter les participants vers des espèces sur lesquelles il y a une forte incertitude pour qu'elle progresse encore. »
Les chiffres clés
Quand l'IA participe
Pionnière des applications utilisant une intelligence artificielle, Pl@ntNet a été créée il y a 10 ans par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) avec 3 autres organismes et recense aujourd'hui plus de 25 millions d'utilisateurs uniques. Elle permet d'identifier une espèce de plantes à partir d'une photo, qui elle-même alimente une base de données. Sa fiabilité repose sur des utilisateurs « experts » qui ont le pouvoir de valider une photo et sur une IA qui se nourrit de ces photos certifiées. « Ce sont les citoyens qui entraînent l'IA. Elle transfère ensuite l'expertise des plus forts à ceux qui débutent, en proposant des noms d'espèces issues de son apprentissage, explique Alexis Joly, coresponsable de Pl@ntNet à l'Inria. À l'avenir, nous aimerions qu'elle puisse orienter les participants vers des espèces sur lesquelles il y a une forte incertitude pour qu'elle progresse encore. »
Quand l'IA participe
Pionnière des applications utilisant une intelligence artificielle, Pl@ntNet a été créée il y a 10 ans par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) avec 3 autres organismes et recense aujourd'hui plus de 25 millions d'utilisateurs uniques. Elle permet d'identifier une espèce de plantes à partir d'une photo, qui elle-même alimente une base de données. Sa fiabilité repose sur des utilisateurs « experts » qui ont le pouvoir de valider une photo et sur une IA qui se nourrit de ces photos certifiées. « Ce sont les citoyens qui entraînent l'IA. Elle transfère ensuite l'expertise des plus forts à ceux qui débutent, en proposant des noms d'espèces issues de son apprentissage, explique Alexis Joly, coresponsable de Pl@ntNet à l'Inria. À l'avenir, nous aimerions qu'elle puisse orienter les participants vers des espèces sur lesquelles il y a une forte incertitude pour qu'elle progresse encore. »
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