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Photo du rédacteurThierry Bardy

Le déshabillage paradoxal de l'humanité

Marie Eloy


Devant l'ampleur, la complexité et la multitude des crises, notre conscience semble se résigner, comme si nous nous laissions endormir dans l'espoir de moins souffrir.

Connaissez-vous le déshabillage paradoxal ? Ce comportement délirant survient chez les personnes victimes d'hypothermie. Comme anesthésiées et droguées par le froid, elles perdent leur lucidité et se mettent à enlever leurs vêtements, accélérant ainsi leur engourdissement progressif jusqu'à la mort. Ce phénomène paraît insensé ? Il ressemble pourtant étrangement à ce que nous sommes en train de vivre.

Habitués que nous sommes au flot incessant de mauvaises nouvelles, notre jugement semble altéré et notre capacité d'agir, étouffée. Nous nous laissons engourdir par la fatalité, acculturés aux scénarios du pire. La crise climatique ? La fonte des glaciers ? L'effondrement de la biodiversité ? La montée des extrémismes ? Les inégalités ? Les guerres ? Les massacres ? Nous constatons ces drames. Nous en mesurons les conséquences.

Pour chacun d'eux, nous devrions nous indigner, être horrifiés, prendre des mesures radicales, nous transformer, agir ! Pourtant, nous réagissons à peine. Comme si, devant l'ampleur, la complexité et la multitude des crises, notre conscience s'était résignée, se laissant endormir progressivement dans l'espoir de moins souffrir. Pire encore, nous nous livrons, nous aussi, à ce phénomène de déshabillage paradoxal.

Alors que 2023 a été l'année la plus chaude de l'histoire et que nous devons réduire drastiquement notre empreinte carbone, les géants pétroliers ont engrangé des bénéfices records, et Airbus n'a jamais autant vendu d'avions.

Alors que le temps devrait être à l'union et à la sagesse pour répondre aux défis environnementaux qui menacent l'humanité, les extrêmes progressent, et les conflits s'intensifient. En vingt ans, les décès dus aux combats ont quadruplé, dans une relative indifférence. Plus d'un tiers des Français se prononcent pour diminuer ou stopper l'aide aux Ukrainiens, et Gaza est entrée dans notre routine d'infos. Le Burkina Faso, la Somalie, le Soudan, le Yémen, la RDC… restent largement ignorés.

En parallèle, l'ONU alerte que « le monde laisse tomber les femmes et les filles », principales victimes de ces crises mais aussi part essentielle des solutions, et appelle à renforcer l'égalité, fondement des 17 objectifs de développement durable.

Oscillant entre résignation, sentiment d'impuissance, découragement, peur du changement et déni, nous ôtons ainsi à l'humanité des chances de survie au lieu de tout mettre en oeuvre pour les renforcer.

Dans les situations désespérées, la médecine d'urgence enseigne de ne jamais abandonner, car l'espoir demeure toujours. Face à l'urgence, nous devrions nous accrocher plus que jamais à cette conviction. Si nous vivions à l'échelle d'un village, chacun se retrousserait aussitôt les manches pour préserver son habitabilité et la paix.

A l'échelle mondiale, la complexité est évidemment incomparable. Cependant, nous avons démontré notre capacité à nous transformer radicalement lors des premiers mois du Covid-19. La moindre chance mérite donc que nous y mettions toutes nos forces.

Le positivisme, souvent considéré avec condescendance comme une forme de naïveté, a été un puissant moteur de résilience et de cohésion à travers l'histoire. Il y a un siècle, par exemple, l'équipage de « L'Endurance », piégé dans les glaces de l'Antarctique, semblait condamné.

Au lieu de céder au désespoir, le capitaine Ernest Shackleton, faisant preuve d'un leadership exceptionnel, galvanise ses troupes, les fait quitter le navire et réaliser une série d'exploits qui sauveront tous les membres de l'expédition. Avec un optimisme contagieux, il encourage l'équipage à protéger les plus faibles et à rester concentré sur la survie.

Dans des conditions extrêmes, sans céder à l'engourdissement, il a cultivé l'unité, le sens du collectif et l'entraide, transformant ainsi une lutte désespérée en une histoire de survie hors du commun. La question est : sommes-nous prêts à faire de même ?

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