En 2041, l'Ile-de-France a vu s'achever les travaux du Grand Paris Express avec dix ans de retard. Les véhicules électriques remplacent progressivement les voitures à essence et les taxis collectifs autonomes sont apparus.
Bonjour Monsieur Ferrinnec, bienvenue à bord. Merci de vérifier que vous êtes correctement attaché. Nous allons décoller dans une minute pour la gare du Nord. Notre trajet devrait durer quinze minutes. » Pour Konrad Ferrinnec, de retour d'Asie, ce court voyage aérien par drone entre l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et Paris est une première. Et pour cause, ces taxis volants sont tout nouveaux à Paris. Automatiques, capables de voler à 120 kilomètres à l'heure avec deux passagers à bord, ils sont les nouvelles coqueluches du transport urbain. Pour Konrad, c'est surtout le seul moyen de gagner rapidement le siège historique de sa compagnie d'assurances dans le 9e arrondissement. Il est attendu par le comité directeur de son entreprise pour rendre compte de ses premières conclusions sur un énorme sinistre survenu dans le port de Shanghai.
Nous sommes en 2041, un matin gris de septembre. Lorsqu'il revient de voyage, Konrad Ferrinnec emprunte d'ordinaire la ligne 17. Ce matin, c'est la panne, et le nord de l'agglomération est embouteillé. Cette ligne, l'une des dernières-nées, est l'une des quatre nouvelles lignes du Grand Paris Express qui dessert notamment l'aéroport de Roissy. Elles complètent celles du vieux métro parisien avec des trajets directs de banlieue à banlieue. Contournant la capitale et son fameux réseau en étoile, ces trains sans conducteurs font gagner un temps notable. Même si, initialement prévu pour 2030, le projet n'a été achevé qu'en 2037. A la clé, un dérapage des coûts et une facture de 35 milliards d'euros qui s'est allongée de 10 milliards supplémentaires.
Le « retrofit » électrique des vieilles autos
Le Grand Paris Express aurait pu être plus rapide et vraiment mériter son nom. Dès sa conception, certains spécialistes ont mis en cause le trop grand nombre de gares sur certains tronçons du parcours. « Avec moins de stations, la vitesse commerciale aurait été supérieure et le projet moins coûteux. Car une infrastructure de ce type est prévue pour durer un siècle, et dans moins de dix ans, on verra des véhicules autonomes collectifs desservir les gares dès qu'elles sont un peu éloignées », prédisait dès 2017 Michel Parent, un vétéran de l'Inria et un pionnier des véhicules autonomes. En 2041 en effet, on parle moins de transport que de mobilité. L'évolution n'est pas que sémantique. L'Ile-de-France est un exemple parfait de l'évolution qui est à l'oeuvre dans un secteur désormais dominé par trois technologies clés : l'intelligence artificielle, les objets connectés et la propulsion électrique. L'annonce de l'arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2035 avait provoqué un effondrement des ventes dès 2030. D'autant que les fameuses ZFE, « zones de faible émission », aux normes toujours plus drastiques, ont achevé de décourager les acheteurs. Dès 2025, les ventes de véhicules électriques sont devenues supérieures aux voitures à essence ou diesel. Ces dernières circulent toujours mais sont devenues minoritaires.
On croise pourtant sur la route quelques vieilles autos très vintage transformées en véhicules électriques. Le « retrofit » longtemps bridé par une réglementation tatillonne est désormais autorisé. Konrad s'est ainsi fait plaisir en faisant électrifier une Citroën DS 21 de 1971. Près d'un siècle après sa naissance, la ligne futuriste du véhicule lancé en 1955 reste d'actualité. Ses performances font, en revanche, pâle figure à côté des véhicules modernes. Konrad se fait plaisir en balade, mais certainement pas pour se rendre à son bureau. Depuis la grande épidémie de Covid-19, le télétravail s'est imposé. Si bien que les horaires sont devenus plus élastiques et le concept d'heure de pointe dans les transports moins pertinents. Konrad Ferrinnec se rend à son bureau une fois par semaine. Comme n'importe quel Francilien, il fait confiance à l'application MobEnLib, qui lui indique le meilleur itinéraire, les différents moyens de transport à utiliser et s'assure qu'ils seront disponibles.
Par beau temps, Konrad Ferrinnec utilise parfois tout simplement son vélo pour relier la gare distante de 7 kilomètres. Face au développement de l'obésité que les pouvoirs publics ont toutes les peines du monde à endiguer, la pratique du vélo ou de la marche est encouragée. Ayant accepté que son profil MobEnLib et que sa montre connectée soient reliés avec sa Mutuelle, il gagne des points et voit ainsi sa prime baisser. En revanche, lorsque la pluie menace ou qu'il a revêtu un costume, il emprunte un AutoVan, un de ces taxis collectifs devenus courants dans toutes les zones périurbaines peu desservies par les transports en commun classiques. Plébiscités par les collectivités, ce sont les premiers véhicules autonomes à circuler sur voies ouvertes. En optimisant son trajet pour charger chacun de ses six passagers, le véhicule a besoin de quatorze à dix-huit minutes pour rejoindre la gare.
Une fois arrivé à la Défense, où sont installés les bureaux annexes de sa compagnie, il se contente généralement de 800 mètres de marche. Il pourrait aussi, comme nombre de ses collègues, emprunter un petit véhicule électrique en libre-service. Le plus en vogue, le Xylox, est un engin hybride rappelant les anciens gyropodes de Segway, mais permettant de s'asseoir et surtout accessible à tous sans risque de chute. Avec une position repérée au mètre près, pas question, en revanche, de l'abandonner n'importe où. Sinon gare à la couleur de son profil MobEnLib ! Le principe est de privilégier les comportements vertueux, mais l'application peut aussi restreindre les droits de ceux dont le profil a viré au rouge écarlate après plusieurs incartades.
La CNIL a lutté pied à pied et obtenu que les utilisateurs puissent refuser l'enregistrement de leurs parcours et que les données ne soient de toute façon pas conservées. Le plus difficile fut toutefois d'obtenir des dizaines d'opérateurs qu'ils apportent leurs données. Sans elles, impossible, même pour la meilleure intelligence artificielle, de coordonner l'offre et la demande. C'est la raison pour laquelle, en 2031, a été créé Sequana, une nouvelle autorité organisatrice des transports (AOT) avec des prérogatives plus larges que celles de IDFM (Ile-de-France Mobilités). A l'occasion d'un colloque organisé par « Les Echos », des images de Jakarta étouffant sous les affres d'une congestion permanente, malgré de nouvelles infrastructures et une technologie de supervision dernier cri, avaient fait sensation : « Voilà ce que risque une métropole qui ne se dote pas d'une autorité avec suffisamment de pouvoir pour réguler la situation. Cela s'appelle la jungle de la mobilité. Est-ce cela que l'on veut pour l'Ile-de-France ? » avait interrogé l'une des participantes. Sequana et son bras armé, la RATF (Régie autonome des transports franciliens), intègrent l'offre les dizaines d'opérateurs privés de transports. Avec une politique d'incitation et de financement pour desservir des zones moins rentables. Et l'obligation de fournir ses données à Sequana pour participer à l'offre de transport.
Les autos entrent seules au parking
Sequana, grâce à des outils de modélisation, parvient à prévoir la circulation des véhicules individuels et des voies sont systématiquement réservées au covoiturage. Car contre toute attente, la voiture individuelle, même électrique, a la vie dure, et sert encore à la moitié des 50 millions de déplacements quotidiens en Ile-de-France. L'enjeu du covoiturage est donc crucial et il a fallu vingt ans pour passer de 1,3 passager par voiture en moyenne en 2020 à 1,8 au début de 2040. La disparition de la voiture individuelle n'est pas à l'ordre du jour même si elle perd du terrain. En Ile-de-France, moins d'un ménage sur trois possède une voiture, soit le même chiffre qu'à Paris il y a vingt ans. Le règne sans partage du véhicule autonome qui devait sonner le glas du véhicule individuel tarde toutefois à arriver. Après les petits véhicules collectifs autonomes, on commence à voir se déployer dans certains centres-villes des flottes de petites autos transportant leur passager à la demande sur des axes réservés. En revanche, en ce début de décennie, les flottes de taxis susceptibles de s'insérer dans le flot de la circulation parisienne ne sont toujours pas en vue.
Une trentaine d'années après ses premiers tours de roues et malgré ses multiples capteurs et son intelligence artificielle, le véhicule autonome a toujours un énorme handicap. Il a du mal à décoder les réactions inattendues des conducteurs humains. Le défi lancé par Tesla en 2032, affirmant que l'un de ses modèles serait capable de traverser la place de l'Etoile s'est transformé en fiasco pour le constructeur américain. L'Autopilot s'est mis en sécurité et s'est arrêté au beau milieu de la place, bloquant toute la circulation. En revanche, les fonctions automatiques sur les voitures se sont multipliées. Elles sont ainsi désormais toutes capables d'aller se garer seules dans n'importe quel parking. Et de revenir à la demande de son propriétaire. Depuis, la place de l'Etoile a été astucieusement redessinée pour laisser la place aux vélos. Il est vrai qu'avec une limitation de la vitesse généralisée à 30 km/h, les choses sont plus simples. Paris a continué à subir un véritable lifting de ses voies de circulation. A l'image de la rue de Rennes et tout récemment des Champs-Elysées. Le plus emblématique reste toutefois le périphérique parisien transformé en boulevard urbain doté d'une piste cyclable.
Derrière sa communication autour d'une « mobilité flexible et choisie », Sequana a pourtant une grande hantise. Celle du piratage, prenant par exemple le contrôle d'une petite partie des véhicules pour bloquer entièrement la circulation. Comme cela avait été le cas aux Etats-Unis lorsque des hackers entendaient protester contre Google. Les constructeurs, aidés par le monde scientifique, multiplient les parades pour rendre les véhicules « cybersecure by design ». Les tensions internationales et le risque d'une nouvelle cyberguerre ne cessent d'inquiéter. Un rapport confidentiel du European Cyber War Institute, qui a fuité dans la presse, a renforcé ces inquiétudes. Selon ses experts, les grandes infrastructures de transports, de par leur complexité et le nombre d'intervenants, sont vulnérables et constitueraient une cible prioritaire en cas de conflit. Pourtant, le souci le plus urgent à régler reste celui des New Anonymous, qui militent pour le droit de circuler anonymement. L'ONG menace d'organiser, le vendredi 13 septembre prochain, une manifestation de milliers de véhicules non connectés. Ceux que les nouveaux systèmes de surveillance craignent le plus.
Cet article a été rendu possible grâce à des entretiens réalisés avec : Dany Nguyen, directeur du département mobilité-transport de l'Institut Paris Region ; Abdelkrim Doufène, directeur stratégie et programmes de l'IRT SystemX ; Yann Briand, chef de projets mobilité de l'IRT SystemX ; François-Joseph Van Audenhove associé Arthur D. Little Bruxelles chargé de l'activité voyage et transport.
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