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Photo du rédacteurThierry Bardy

Masters en finance durable, la difficile révolution

Club Open prospective

Marion Simon-Rainaud

La transition écologique passera inévitablement par la finance. Dans la plupart des écoles, le virage semble entrepris, mais attention aux faux amis dans la jungle des masters prétendus « durables ».

La formation en finance verte veut se structurer. Et l'Institut de la finance durable (IFD) et l'Institut Louis Bachelier apportent leur pierre à l'édifice en annonçant, ce lundi 30 octobre, une liste de neuf premiers masters « engagés pour une finance durable ». Cette étiquette vise à mieux identifier les cursus universitaires comme de grandes écoles qui ont vraiment pris le virage de la transition écologique.

Les regrouper derrière cette bannière « engagée » n'a pas été une mince affaire. Parler de finance durable, c'est confronter deux injonctions a priori difficilement conciliables. D'un côté, le but d'un financier est d'investir dans un projet avec un taux de rentabilité annuelle de préférence élevé. De l'autre, la durabilité implique de s'assurer que cet investissement n'aura pas d'impact négatif pour la planète et ses habitants.

Quinze critères

De quel côté faire pencher la balance ? C'est tout le sujet. Et c'est sans doute pour ne pas trancher qu'il ne s'agit pas d'un label - « trop complexe à mettre en place », nous glisse-t-on à l'IFD -, mais bien d'un moins contraignant « partenariat académique ». Dit autrement, c'est « un outil pour encourager et faciliter la transition de ce secteur. Ce qui devrait aider à renforcer l'attractivité de la place financière de Paris sur ces sujets qui prennent une importance croissante dans nos économies », indique Yves Perrier, président de l'IFD et président du conseil de la maison d'investissements Edmond de Rothschild, qui veut « accueillir encore d'autres masters » et « créer un vrai réseau d'échange entre eux ».

Pour l'intégrer, chaque formation postulante est analysée par l'IFD, au crible de 15 critères répartis en trois catégories : enjeux écologiques et du développement durable, finance durable, et stratégie de transition écologique de l'institution. Il est exigé par exemple un minimum de 24 heures de cours aux « enjeux écologiques » pour les masters finances généralistes (le double pour les masters spécialisés) et 48 heures de cours minimum de « finance durable » (de nouveau le double pour les masters spécialisés).

Ce partenariat sera-t-il suffisant pour hisser l'ensemble de la formation en finance au niveau attendu face à l'urgence de la situation climatique ? Mieux que rien, diront certains, étant donné l'état des lieux édifiant du secteur, dressé par The Shift Project, un think tank qui oeuvre à mettre la transition écologique au coeur de l'enseignement supérieur, entre autres.

En 2022, parmi les 67 établissements d'enseignement supérieur, les 10 organismes de formation et les 1.399 parcours de formation passés au crible, seuls 5 % des masters en finance « formaient de manière adéquate aux enjeux écologiques » et 23 % les abordaient « de manière superficielle », peut-on lire dans un de leurs rapports, intitulé « Former pour une finance au service de la transition ».

D'ailleurs, à la lumière de ce guide, on constate que les exigences du nouveau partenariat sont en deçà de leurs recommandations. Pour les étudiants en finance, The Shift Project préconise pour tous les masters 48 heures de formation aux « contraintes physiques » (dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources énergétiques et autres) plutôt que 24 heures aux « enjeux écologiques », notion considérée trop large.

Concernant le deuxième volet sur « la formation à la finance durable », d'autres interrogations sont soulevées, notamment la place jugée trop marginale dans les prérequis des masters partenaires de l'IFD.« Quarante-huit heures, soit deux cours, ça veut dire qu'on continue d'enseigner la finance de la même façon, 'business as usual'' avec des cours sur les enjeux écologiques enseignés de manière non intégrée », pointe le spécialiste Kelvin Frisquet, coauteur du rapport de The Shift Project. D'après lui, ce point est actuellement le « principal problème » rencontré dans les formations et les masters proposés dans ce secteur.

Autre point de vigilance soulevé par le spécialiste : la condition sur la recherche édictée par ce partenariat. « Il y a parfois de la recherche académique qui a l'air de traiter de ces sujets-là et qui ne prend pas en compte des notions pertinentes comme les contraintes physiques. » Sollicité sur les interrogations que son partenariat académique soulevaient, l'IFD n'a pas souhaité nous répondre. Si on dézoome, ce flou se retrouve plus globalement à l'échelle des critères de la finance durable, pointe l'expert, notamment sur les fameux critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG). A la mode en recherche, ce score, calculé sur une base déclarative, a été pensé pour les investisseurs mais pas pour transformer en profondeur les mécaniques financières. En témoigne la bonne note ESG du groupe Orpéa avant le scandale des pratiques illégales sur ses résidents en Ehpad, en 2022.

Les limites de ce partenariat académique sont en réalité celles de la finance durable, elle-même, le reflet d'un secteur qui n'arrive pas à s'accorder sur ses standards.

Quand Christophe Revelli a lancé son master finance durable ( « sustainable finance », en anglais) à Kedge Business School, il y a sept ans, seulement 5 étudiants se sont inscrits. En 2021, ils sont 80 candidats à frapper à sa porte de son master pour seulement 40 places (70 % d'étudiants étrangers).

Ce pionnier du secteur se réjouit de voir la demande exploser (côté étudiants comme entreprises) mais ne peut s'empêcher d'être prudent face au risque de la multiplication des formations verdissantes et fourre-tout. « Il y en a des totalement schizophréniques où, à 9 heures, les étudiants suivent un cours de déontologie et d'investissements éthiques, à midi font une fresque du climat et, à 15 heures, du trading haute fréquence ! »

Bien mais pas suffisant

En écho aux formations, des études anglophones récentes attestent l'existence d'un greenwashing dans le domaine des produits financiers durables. Par exemple, les investisseurs institutionnels américains qui se sont engagés à investir « responsable » (« PIR » - selon le sigle anglais) ont des portefeuilles de titres qui n'ont pas un meilleur score ESG que ceux qui ne l'ont pas fait, d'après un article publié en 2022 dans la revue scientifique « Review of Finance ».

« La finance est très forte pour développer tout un tas de critères, de principes ou pour étiqueter des produits verts comme les Green Bonds, mais quand on gratte pour savoir si ça a un lien avec l'impact… La réponse est non, explique le spécialiste Kelvin Frisquet, de The Shift Project. C'est plus du marketing que la réalité. Il faut être méfiant. » Pour autant, il ne s'agit pas de renier ces produits financiers mais d'en connaître les limites. Le rapport de The Shift Project préconise plutôt d'y former les étudiants, en éveillant leur regard critique.

A l'Essec, les étudiants en master finance ont, en plus d'un cours obligatoire d'Investissement ESG et finance verte ( « ESG investing and green finance », en anglais), accès à la chaire Imaginer le futur de la finance (« Shaping the Future of Finance », en anglais) lancée en octobre 2020. Elle vise à former les étudiants à une finance durable et inclusive. Et « leurs travaux aboutissent à des propositions qui contribuent à résoudre des questions de financement, de définitions de critères financiers et extra-financiers, de mesures d'impact… », présente Sofia Ramos, cotitulaire de la chaire, professeure et responsable du département finances de l'école.

Ce master de l'Essec (école arrivée première de notre classement des écoles les plus engagées dans la transition) intègre lui aussi le partenariat académique. Alors, doit-on jeter le bébé avec l'eau du bain concernant le partenariat ? Même s'il est jugé « un peu léger » par les spécialistes les plus engagés dans la finance durable, d'autres enseignants soufflent qu'il peut se révéler « être un bon moyen de mettre le pied à l'étrier » pour les 72 % de formations en finance qui n'abordent pas du tout les enjeux écologiques d'après le rapport de The Shift Project.

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