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Photo du rédacteurThierry Bardy

OpenAI : le débat s'ouvre (enfin) sur la bonne science

Eric Le Boucher

Le défi d'une « bonne » IA ne peut pas être relevé avec les institutions d'antan : les Etats-nations et l'ONU. La solution est d'inventer une façon meilleure de prendre des décisions collectives pour le bien collectif.

La technologie est le sujet principal de ce début de siècle. D'abord parce qu'elle est au coeur des défis géostratégiques du temps : le conflit sino-américain est devenu un conflit technologique, les guerres sont gagnées par la technologie. Ensuite parce que la technologie est la clé essentielle, n'en déplaise aux écologistes, pour résoudre les autres défis de l'époque à commencer par le climat. Enfin, et surtout, parce que pour la première fois, l'homme peut changer non pas seulement ses modes de vie, comme ce fut le cas avec l'agriculture ou la machine à vapeur, mais sa nature même. La génétique et l'intelligence artificielle ouvrent des perspectives vertigineuses. L'écran informatique « addictif » a déjà eu des effets certains sur les cervelles des enfants, la suite pourrait être bien pire… ou enfin meilleure.

Le week-end dernier, avec le limogeage du fondateur de la start-up californienne OpenAI, Sam Altman, puis sa réinstallation, s'est posée la question historique : est-il possible que la technologie rompe avec la pente qu'elle a prise depuis vingt ans (dans les mains d'une poignée de Californiens, ingénieurs et financiers, qui ont le profit pour guide) et qu'elle amorce un virage « humaniste » pour venir - revenir - « au service » des humains, en ne sachant pas encore trop bien ce que cela signifie concrètement.

Servir l'humanité

La victoire éclair de Sam Altman donne une réponse de continuation, la logique californienne l'a emporté. Mais ce n'est pas si simple.OpenAI a été créé il y a dix ans par Altman et des amis précisément pour que l'IA serve l'humanité. Le conseil d'administration a été constitué de scientifiques comme Helen Toner, proche d'un mouvement « altruiste ». Mais, bientôt, il a fallu des monceaux d'argent. C'est la double caractéristique de la technologie d'aujourd'hui : elle est incertaine (pas sûr de faire les bons choix face à une forte concurrence) et consomme des milliards de cash.

Le système californien est magnifiquement adapté, il est « fait pour ça » et il a réussi. Sam Altman, pour percer, a eu vite besoin de lever des fonds auprès de Microsoft et d'autres et de poser son drapeau, au plus vite, sur les territoires vierges de la discipline en sortant le « produit » ChatGPT puis en en annonçant « une plateforme » qui servira de base, comme Apple Store, à toutes les applications particulières.

Le débat s'ouvre sur cette stratégie d'entreprise : est-elle trop ambitieuse ? Mais aussi sur la portée générale d'OpenAI : de quel humanisme parle-t-on ? Quel est le but ? Sam Altman est un fervent croyant dans les machines « super intelligentes » mais pas seulement. Il a investi dans la fission nucléaire, dans les cryptomonnaies, dans une firme de biotech qui veut allonger la vie humaine, dans Neuralink, la firme d'Elon Musk qui veut implanter des puces dans le cerveau. Autant d'entreprises qui pensent que la technologie va créer un nouvel homme amélioré.

L'humanisme californien est un nouvel humanisme, un transhumanisme qui ouvre l'ère d'Homo Deus, comme le note avec anticipation Laurent Alexandre (1). Sam Altman a expliqué au « Financial Times » que « les Etats manquent de volonté » pour avancer, ils n'ont plus de projet depuis le supersonique Concorde (dont il a une maquette dans son bureau) et la fusée Apollo. Les Etats, vieux trucs dépassés, doivent laisser les entrepreneurs foncer et ne pas les freiner par « une régulation » qui, comme la cavalerie, arrive toujours trop tard.

Science transhumaniste

L'argent commande, la science altruiste a perdu devant la science transhumaniste ? Jusqu'ici oui. Les forces sont déséquilibrées. La difficulté du combat note The Collective Intelligence Project, l'une des centaines d'associations de scientifiques qui se sont montées ces derniers mois, vient du succès du modèle californien (« l'accélération capitaliste ») et de la faiblesse des deux alternatives : « une technocratie autoritaire » qui impose la loi d'un régime dictatorial (la Chine) et, à l'autre bout du spectre, « la stagnation participative », l'illusion d'une démocratie directe antiprogrès (l'écologisme).

Le défi d'une « bonne » IA ne peut pas être relevé avec les institutions d'antan : les Etats-nations et l'ONU. La solution est d'inventer dans ce moment historique « une façon meilleure de prendre des décisions collectives pour le bien collectif ». La technologie, parce qu'elle facilite le débat, est le point d'appui. Mais concrètement ? Le débat, pour le moment, n'est pas en faveur de l'idéalisme. Mais nous ne sommes qu'au début. Une prise de conscience est faite chez beaucoup des gens de science. La solution à la science est dans la science.

(1) « La guerre des intelligences à l'heure de ChatGPT », JC Lattès.

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