Jean-Hervé Lorenzi Alain Villemeur
Un seul consensus s'impose aujourd'hui, celui de l'incertitude absolue sur l'évolution économique du monde à venir et sur les politiques économiques qu'il nous faut mener au niveau mondial, européen et français. Nous restons abasourdis par l'incroyable activité des banques centrales et des politiques budgétaires, et le seul commentaire que nous pouvons formuler est « pourvu que ça dure » !
Les politiques citent à tout propos Keynes et la demande effective d'une part, et Schumpeter et la destruction créatrice d'autre part. Inutile de dire que ceci a pour objectif de dissimuler nos impuissances. On a sans nul doute raison de vouloir rechercher dans les approches de grands économistes du passé quelques éléments de solutions. Mais là où le bât blesse, c'est que ces deux immenses personnages sont inexorablement liés à leur époque, à leur crise et à leur environnement spécifique, politique, syndical et intellectuel.
Or la crise que nous vivons correspond à la fin d'une longue période et ne peut être approchée, à l'avenir, qu'à travers un triple prisme, celui de l'offre des biens et des services, dont on s'imagine sans peine qu'elle va se transformer profondément ; celui de la demande dont l'évolution est largement liée au marché du travail et à sa bipolarisation, entre emplois qualifiés et non qualifiés ; et celui de l'innovation, qui peut être destructrice ou créatrice d'emplois.
Une partie non négligeable de cette recherche, se trouve dans un courant économique très exceptionnel, celui des post-keynésiens. Dans cette école de pensée, à côté de Joan Robinson, il y avait un économiste anglais, Nicholas Kaldor, dont les travaux aujourd'hui peuvent largement inspirer nos réflexions. En effet, Kaldor étudia tous les sujets qui nous agressent aujourd'hui, et à côté d'une vison macroéconomique exceptionnelle, il traita des problèmes de politique économique auprès des chanceliers de l'Echiquier à deux reprises. Mais surtout, il est le seul économiste convaincu que la croissance est la résultante d'une interaction entre l'offre, la demande et l'innovation.
Ce sont donc bien ces variables qui peuvent éventuellement redonner au monde une croissance pérenne, stable et inclusive. C'est exactement ce que Kaldor nous a enseigné à travers ces modélisations, permettant de représenter les allers-retours entre l'offre et la demande. Pour Kaldor, la répartition des revenus était un déterminant majeur de ces variables. En effet, la théorie Kaldorienne de la répartition, repose sur la constatation que les détenteurs de profits, les entreprises propriétaires de capitaux, épargnent davantage de revenus que les salariés. Il s'ensuit que chaque configuration de la répartition des revenus correspond à un montant d'épargne et donc d'investissement et finalement à un niveau d'emploi et de croissance.
Il nous faut dans une approche Kaldlorinenne aller plus loin et introduire, dans le souci d'une croissance forte et durable, d'autres répartitions. Tout d'abord la répartition entre les investissements d'expansion et ceux de rationalisation qui se sont amplifiés avec la révolution numérique et la mondialisation. Cette répartition entre créations et destructions d'emplois détermine alors le taux de chômage. Ensuite, la répartition de l'épargne, entre actifs risqués et sûrs : désormais la recherche d'actifs sûrs se fait au détriment d'investissements risqués et donc de l'innovation. Il ne faut pas oublier la répartition des revenus selon les générations. Elle joue notamment sur la propension marginale à consommer. Il y a également la répartition des emplois. Selon les qualifications, elle est bouleversée par la bipolarisation du marché du travail, avec un effet majeur sur la consommation, donc la croissance. Enfin, il y a la répartition des dépenses selon le caractère social ou privé. La dynamique de la protection sociale, était au coeur de la réflexion de Nicholas Kaldor.
La révolution Kaldorienne est en marche, à nous de nous appuyer sur ses travaux fondateurs et de donner aux six répartitions les valeurs qui permettent d'envisager une nouvelle trajectoire économique et sociale porteuse d'espoir.
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