D'ici à vingt ans, la population mondiale aura augmenté de 1,3 milliard d'habitants. Au-delà du nombre, c'est le vieillissement généralisé sur l'ensemble des pays de la planète qui constitue l'un des plus importants défis pour l'économie mondiale.
Quand on parle démographie, vingt ans, c'est demain. Et pourtant, des bouleversements inattendus peuvent survenir : une nouvelle pandémie plus meurtrière encore que celle du tristement célèbre coronavirus, un conflit entre deux puissances mondiales, une crise des matières agricoles provoquant misère et famine. Mais aussi spectaculaires et dramatiques que soient ces événements, ils ne font bouger qu'à la marge les évolutions démographiques de long terme de la planète.
Avec plus de 4 millions de morts à ce stade, la pandémie de Covid-19 restera comme un épiphénomène à l'échelle des grandes évolutions démographiques. L'épidémie a certes fait reculer l'espérance de vie d'une année et demie aux Etats-Unis (en partie du fait du rebond des overdoses liées à la consommation d'opioïdes, et pas des seuls morts du Covid) et même de plus de trois ans en Afrique du Sud, mais la croissance démographique va rester vigoureuse dans les prochaines années. Et le Covid pourrait même avoir un effet positif à long terme sur l'espérance de vie, selon certains scientifiques, car il nous a appris à mieux nous protéger et à adapter nos comportements et nos gestes de la vie quotidienne face à ce type de virus très contagieux.
Un continent comme l'Afrique en plus
Tel un paquebot lancé en pleine mer, l'augmentation de la population mondiale continue donc sa course. De 7,8 milliards en 2021, la population mondiale passera à 9,2 milliards en 2041. Et près de 10 milliards en 2050. Nous sommes tous les jours un peu plus nombreux, mais l'explosion démographique est derrière nous. Qu'on en juge par les chiffres du passé : il a fallu moins de quarante ans - de 1960 à 2000 - pour que double la population mondiale, passant de 3 milliards au début des années 1960 à 6 milliards en 1999.
La transition démographique, qui conduit un pays d'une fécondité et d'une mortalité élevées vers un régime où les deux indicateurs sont faibles et s'équilibrent, a fait son oeuvre dans la plupart des Etats du monde, et parfois de manière spectaculaire et dans des contrées inattendues. Le Bangladesh, notamment, est passé de 4,5 enfants par femme en 1990 à 2 enfants par femme en 2021, un taux inférieur à celui de la France en 2010. En 2021, plus de deux pays sur trois ont une fécondité inférieure à 2,1 enfants par femme - le seuil qui permet le renouvellement de générations - et ce ratio va encore augmenter d'ici à 2041. Selon une étude du « Lancet » parue à l'été 2020, la population mondiale devrait même décliner à partir de 2064.
Avant d'atteindre ce point de bascule éventuel, serons-noustrop nombreux sur Terre pour pouvoir vivre dans des conditions saines ? « En réalité, il n'y a pas un chiffre idéal de la population mondiale au-delà duquel nous serions trop nombreux. La véritable question n'est pas tellement celle du nombre que celle de nos comportements et nos façons de vivre », indique Gilles Pison, professeur au Museum national d'histoire naturelle et chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (Ined).
« On serait déjà trop nombreux sur Terre aujourd'hui si tous les habitants de la planète vivaient comme le Français moyen », poursuit le chercheur. Nos habitudes de mobilité, nos modes de vie en général et notre alimentation surtout sont amenés à changer dans les vingt prochaines années. Car si les scientifiques s'accordent à dire que les ressources naturelles sont largement suffisantes pour faire vivre 10 milliards d'habitants, tout dépend de la façon dont elles seront utilisées. C'est notre alimentation surtout qui devrait singulièrement évoluer dans les prochaines années. « Manger moins, mais mieux » sera la ligne directrice de notre régime alimentaire. Moins de viande, notamment pour pouvoir récupérer les précieuses calories englouties par l'élevage : pour dix calories de céréales consommées par une vache, par exemple, seule une calorie est récupérée par l'homme sous forme de viande ou de lait.
Nous sommes paradoxalement victimes de notre propre succès et des progrès fulgurants accomplis dans l'agriculture : grâce aux produits phytosanitaires, entre autres, les rendements agricoles ont atteint des sommets et ont permis de nourrir toujours plus de personnes. Mais l'agriculture intensive a aussi fortement dégradé les sols. Une situation qui a conduit à ce paradoxe : les famines n'ont jamais été aussi peu nombreuses qu'aujourd'hui, et pourtant, 9 % de la population est en situation de sous-nutrition au niveau mondial selon les chiffres de l'ONU. Or c'est justement dans les régions du monde qui vont connaître une forte poussée démographique dans les vingt prochaines années que se trouve la majorité de ces personnes malnutries.
Les deux grands moteurs de la croissance démographique de ces vingt et trente prochaines années sont en effet en Afrique subsaharienne - où la population va doubler d'ici 2050 - et dans cette poche d'Asie centrale qui regroupe le nord de l'Inde, le Pakistan et l'Afghanistan. L'Inde est ainsi le pays qui va connaître la plus forte poussée de sa population d'ici à 2050, avec 259 millions d'habitants supplémentaires, ce qui la mettra en tête du box-office démographique, dépassant la Chine dès le début des années 2030.
Le Nigeria comptera, lui, 195 millions de personnes en plus, avec une capitale, Lagos, dont la population va être multipliée par 2,5 d'ici à 2050 pour atteindre 50 millions d'habitants, soit 5 fois la population d'un pays comme la Grèce regroupée dans une seule ville.
Dividende démographique
Leur nombre fera-t-il leur force ? Rien n'est moins sûr. Car si certains pays ont une peur panique du déclin de leur population - c'est le cas de la Chine, dont le déclin démographique est un sujet éminemment politique - il n'a jamais été prouvé que la vitalité démographique soit un gage automatique de dynamisme économique.
Dans le cas du continent africain, où de nombreux pays n'ont pas encore réalisé leur transition démographique et où la natalité n'a pas baissé comme l'avaient prévu les démographes, cette vitalité peut même devenir un piège. Si les pays asiatiques comme la Corée du Sud ou Taiwan, et, dans une moindre mesure, la Thaïlande ou le Vietnam, ont connu une croissance fulgurante ces dernières années, c'est que la fécondité y a beaucoup baissé - presque trop parfois comme en Corée du Sud - et que le rapport actifs sur inactifs - ce que l'on appelle aussi le « dividende démographique » y était très favorable pour assurer un développement économique record : une population active importante, du fait d'une fécondité élevée une vingtaine d'années plus tôt, et une population dépendante - enfants et seniors - beaucoup moins nombreuse par comparaison. La Corée du Sud est ainsi passée de plus de 6 enfants par femme au début des années 1960 à moins de 1 enfant par femme aujourd'hui.
Il n'en est rien en Afrique subsaharienne, où les taux de fécondité restent les plus élevés au monde : il était encore de 5,4 enfants par femme au Nigeria sur la période 2015-2020. Résultat : 40 % des Africains aujourd'hui ont moins de 15 ans, ce qui donne une petite idée du nombre d'emplois qu'il va falloir créer pour absorber ce flux d'entrants sur le marché du travail dans les toutes prochaines années. L'Afrique en est loin, très loin.
Le grand défi démographique de 2041, ce ne serait donc pas le nombre de personnes sur Terre, mais davantage leur répartition sur les cinq continents. Alors que l'ensemble des pays développés, y compris la Chine qui vieillit à vitesse grand V, voient leur population de seniors croître à vue d'oeil et leur ratio actifs sur inactifs s'enfoncer chaque année un peu plus dans le rouge, les migrations Nord-Sud ne sont-elles pas amenées à s'intensifier d'ici 2041 pour rééquilibrer la force de travail sur la planète ? En réalité, les migrations devraient rester soutenues dans les vingt prochaines années, mais la vague migratoire en provenance d'Afrique, dont on brandit parfois la menace, est largement fantasmée. D'abord, parce que les mouvements migratoires se font massivement à l'intérieur du continent africain lui-même, et de manière minoritaire vers les pays du Nord, qui ont d'ailleurs perdu une partie de leur attractivité du fait d'un moindre dynamisme économique, notamment en Europe.
Ensuite parce que les habitants d'Afrique subsaharienne sont parmi les moins mobiles de la planète. Les champions de la migration sont les Indiens (dont la diaspora compte plus de 17 millions de personnes à travers le monde), suivis par les Mexicains et les Chinois. Il ne faudra donc pas compter sur l'immigration de travail - en tout cas pas comme un remède miracle - pour sauver les pays du Nord de leur lent mais sûr déclin démographique. Nous ne serons pas forcément trop nombreux en 2041, mais ce qui est sûr, c'est que nous serons vieux.
Davantage besoin de cercueils que de berceaux
« Les plus de 60 ans représentent aujourd'hui 1,1 milliard de personnes au niveau mondial, ce sera 1,7 milliard dans vingt ans, détaille l'économiste Hippolyte d'Albis. Or le dynamisme d'un pays, ce n'est pas forcément la taille globale de sa population, mais la taille relative de sa population active. La part des gens dépendants étant amenés à croître, cela va coûter de plus en plus cher pour les pays disposant d'un système de protection sociale. Quant aux autres, le problème n'en est que plus compliqué, en particulier en Chine », estime-t-il. Même la jeune Afrique va se trouver confrontée au vieillissement d'une part non négligeable de la population.
« Avec les dynamiques engagées, une image très nette se dégage, celle d'une Europe qui a déjà plus besoin de cercueils que de berceaux », commente Julien Damon, sociologue et chroniqueur aux « Echos ». Une image qui peut avoir des conséquences bien fâcheuses pour les pays concernés : stagnation de la croissance, perte de dynamisme économique, essoufflement de l'innovation. Reste une bonne nouvelle : plus la population d'un pays vieillit, plus il a de chances de conserver une démocratie stable. Gare toutefois à la gérontocratie.
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