Matthieu Quiret
Le cabinet publie des comptes annuels dynamiques mais déplore un effritement de la marge du secteur à cause des investissements numériques difficiles à valoriser financièrement.
L'explosion des besoins numériques et l'inflation vont-elles faire voler en éclat le modèle traditionnel d'affaires des cabinets de conseil et d'audit ? La facturation horaire des consultants organise depuis des décennies la relation contractuelle entre les cabinets et leur client. Mais Marie Guillemot, la directrice du directoire de KPMG en France tire la sonnette d'alarme à l'occasion de la publication, ce mardi, de ses résultats annuels.« Nos facturations n'intègrent pas les énormes investissements informatiques que nous sommes en train de faire sur le big data et l'IA et qui sont comptabilisés en charges. En cinq ans, on a consacré 5 milliards au niveau mondial dans le développement des outils mais aussi beaucoup en formation », affirme-t-elle.
La dirigeante explique que les prestations ne sont plus aujourd'hui uniquement des interventions humaines mais de plus en plus des résultats d'analyses de données, des simulations, etc. Pour Marie Guillemot, c'est une problématique sensible du secteur. Les cabinets réprouvent à publier leurs bénéfices mais elle concède qu'en quelques années, les marges ont fondu d'un point. Cette fragilisation du modèle doit aussi à l'inflation. « Nous avons connu deux exercices avec 5 % de hausse de la masse salariale, laquelle représente 75 % de nos coûts », souligne-t-elle.
Or KPMG comme les autres cabinets en France déplorent n'avoir pas pu répercuter toute cette inflation, contrairement à ses collègues étrangers. Les autres entités KPMG affichent des taux de croissance de 8 %, très gonflés par des effets prix, quand KPMG France a dû se contenter de 3,4 %. Le cabinet cherche maintenant sur certaines missions de conseil très technologiques à ne plus négocier un taux horaire mais un montant global.
Plusieurs moteurs allumés
Malgré ce contexte mouvant, la patronne du cabinet ne se plaint pas des résultats 2023 bouclés en septembre. Toutes activités confondues, elles décrochent 7 % de croissance à 1,47 milliard d'euros. Sur le conseil, c'est même une progression de 14 % à 482 millions d'euros quand le secteur s'attendait plus à une dizaine de pourcents.
Plusieurs moteurs expliquent ces bons chiffres d'activité. La partie audit a profité de la forte période de rotation des mandats de commissaires aux comptes ces deux dernières années pour récupérer quelques beaux clients comme AXA ou Société Générale. KPMG se renforce aussi dans l'accompagnement des ETI, en hausse de 12,9 %, et dont il revendique un quart du marché. Il est principalement tiré par la numérisation accélérée des entreprises intermédiaires qui ont compris tous les gains potentiels.
L'obligation dureporting extra-financier début 2025 au niveau européen (CSRD) occupe aussi de plus en plus d'auditeurs. Les entreprises de plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires devront publier jusqu'à 1.100 indicateurs environnementaux ou sociaux et les faire certifier par leur commissaire aux comptes actuel ou une autre structure. Les trois premières années, l'exercice sera progressif et KPMG s'attend à ce que les premiers contrats d'audit extra-financiers attendus en ce début d'année représentent un surcroît d'activité de 20 à 30 % par rapport au mandat financier classique. Mais dans trois ans, Marie Guillemot anticipe carrément un doublement de la valeur du mandat.
Pour 2024, la dirigeante se veut quand même prudente et ne pense pas rééditer une croissance aussi forte qu'en 2023. Les économies engagées par le système bancaire, client principal du conseil, vont notamment laisser des traces.
Pour autant, le cabinet continue d'embaucher au même rythme annuel mesuré de plus de 7 % par an. En 2023, 2.700 recrutements ont eu lieu. « On évite le stop-and-go même si cette prudence peut nous limiter comme en 2022 quand nous avions refusé 120 missions de conseils en transaction. »
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