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Photo du rédacteurThierry Bardy

« Pour résister à la crise, les entreprises doivent repenser leur business model »



Mallory Lalanne


Selon Thierry Rayna, professeur à l'Ecole polytechnique et chercheur au laboratoire CNRS, le business model qui fonctionnera demain sera aligné sur l'entreprise et son écosystème. Les entreprises doivent passer d'une logique de business model « financier » à une dimension « réseau » et responsable.

Pour quelles raisons les business models actuels s'essoufflent-ils ?

Pendant très longtemps, le bon modèle économique a consisté à avoir un leadership sur le marché, à écraser ses concurrents et fournisseurs, et à créer beaucoup de performances financières. Les technologies numériques ont radicalement transformé l'environnement de l'entreprise, désormais placé dans un écosystème de valeur complexe et mouvant, de parties prenantes hétérogènes, où la notion d'impact est absolument clé. Or, beaucoup d'entreprises ont une vision incomplète de leur business model et de ce qui le compose et tendent, à tort, de séparer les questions de business model de celles d'impact. Au lieu d'adopter un business model moins polluant, elles plantent des arbres pour compenser ! C'est ce qui ressort notamment de l'étude* que nous avons menée cet été avec Valentine Georget. Même les sociétés « à impact » ont une vision partielle et partiale de ces questions et se focalisent sur un aspect particulier de l'impact (typiquement environnemental), favorisant ce qui est mesurable (le carbone). C'est de ce manque d'adéquation entre business model dans son ensemble et d'impact au sens large que naissent les accusations de greenwashing. Il faut considérer l'impact sous toutes ses formes : environnement, social, économique et sociétal. Notre étude montre que « faire de l'impact », ça n'est pas tant développer de nouveaux produits ou services « à impact », que de repenser la logique même du business model de l'entreprise, en s'appuyant sur les écosystèmes internes et externes de l'entreprise : ses salariés, clients et partenaires… Pas besoin de montrer qu'on est « green » si le business model est intrinsèquement vertueux et porteur d'impact !

Est-ce que la crise du Covid-19 accélère les choses ?

La pandémie a causé une quête de sens et accéléré une prise de conscience, une appétence des grands groupes notamment pour ces questions et une volonté des dirigeants que leur entreprise ait « plus d'impact ». Mais cela ne veut pas forcément dire que les choses vont automatiquement évoluer : tant que de nouvelles routines n'ont pas été créées, il est tentant de revenir à ce qui marchait bien avant. Il faut inventer cet après et on manque de repères. Le vrai risque est de se mettre à copier un business model « qui marche » et essayer de devenir l'Uber de l'électroménager ou le Netflix de la restauration… Trouver le bon business model requiert de l'introspection et une connaissance fine de ce que sont vraiment l'entreprise et son écosystème. Méconnaître cet écosystème peut conduire à des erreurs stratégiques fatales, comme Netflix qui, en produisant du contenu, a transformé ces alliés en concurrents de poids (Disney+, etc.). Méconnaître son entreprise peut conduire à détruire ce qui faisait la source même de son succès.

Que proposez-vous de plus pérenne ?

Le modèle d'affaires doit évoluer continuellement pour s'adapter aux évolutions technologiques, à la société et surtout préparer le coup d'après. Ce qui marche à un instant T peut très bien ne plus fonctionner plus tard. Et le « bon » business model peut ne pas être immédiatement implémentable. Perdurer nécessite de prendre en compte l'impact sous toutes ses formes, ainsi que les écosystèmes internes et externes. Pour cela, il faut changer les outils de décision. Les outils stratégiques actuels (chaînes de valeur, cinq forces, SWOT) sont caducs : ils ne prennent pas en compte les écosystèmes et l'inclusion des consommateurs. Il faut de vrais outils de diagnostic et pas seulement de créativité comme le Business Model Canvas afin de permettre aux dirigeants de penser l'entreprise différemment.

* « Dépasser les 'business models durables' : comment réconcilier innovation en business model et impact ? », étude menée de juillet à octobre 2020, par Valentine Georget et Thierry Rayna.

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