Pour réussir la transition énergétique, il va falloir investir des sommes colossales dans des dépenses non productives. Non comme dans une révolution industrielle, mais comme dans une guerre.
Une route effondrée après des pluies diluviennes, fin novembre, dans le nord du Kenya. Les intempéries ont provoqué le déplacement de milliers de personnes.
A quoi ressemblera la transition écologique ? Agnès Pannier-Runacher, évoque une transformation « d'une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle ». La ministre de la transition énergétique a raison.
Sur le plan technique, nous allons devoir bouleverser nos façons de produire, renouveler nos équipements, vivre autrement.
Mais sur le plan économique et financier, la révolution industrielle n'est pas la bonne référence. La bonne référence, c'est la guerre. Car il va falloir investir massivement. Avec une particularité : cet effort, qui se chiffre en dizaines de milliers de milliards d'euros ou de dollars à l'échelle de la planète, ne servira pas à produire plus.
Pas d'espoir de gain économique
L'effort aura un autre objectif. Il servira à produire mieux, plus proprement, mais sans engendrer des recettes supplémentaires qui permettent de rentabiliser le capital investi. Le modèle économique ne peut donc pas être celui des révolutions industrielles, mues par la recherche d'efficacité.
En revanche, c'est ce qui se passe dans une guerre. Les pouvoirs publics investissent des montants massifs pour acheter ou fabriquer des canons, des chars, des avions sans en espérer le moindre gain économique. Le but, c'est de gagner la guerre.
Economiquement et financièrement, la transition énergétique et écologique sera donc une guerre. Il faut en tirer les conséquences, en regardant ce qui s'est passé lors des conflits du passé.
Lutte contre les dérives bureaucratiques
La conséquence la plus évidente, c'est que l'Etat prend la main. Le marché ne sait pas organiser la guerre. C'est pour cette raison que la notion de « planification écologique » a surgi. Seul l'Etat peut impulser l'action, la coordonner… et prélever des masses d'argent. Avec comme seule promesse une espérance de victoire.
Ce qui pose immédiatement une question d'efficacité. L'Etat n'est pas très bon dans l'organisation des circuits productifs. L'URSS s'en est effondrée. Et avant cet effondrement, pendant la Première Guerre mondiale, Georges Clemenceau était obsédé par la lutte contre les dérives bureaucratiques. Tout comme Winston Churchill pendant la Seconde, au point de choisir un chef d'entreprise pour créer un ministère de la production d'aéronefs (secteur hautement stratégique) et court-circuiter la machine administrative.
« Profiteurs de guerre »
Ensuite, il faut de l'argent. Et là, tous les moyens sont bons. Le premier est l'emprunt, avec des appels insistants au peuple. « Pour la France, versez votre or », proclame une affiche célèbre de 1915 montrant un coq belliqueux sortant d'une pièce de monnaie en menaçant un soldat… Les programmes d'emprunts ont souvent financé plus de la moitié de l'effort de guerre. Avec parfois de fortes incitations pour les rendre pratiquement obligatoires.
Le deuxième moyen pour alimenter la machine de guerre est l'impôt, souvent au nom de l'équité. En France, un impôt sur les bénéfices a été prélevé pour la première fois en 1916, sous la forme d'une taxe sur les gains exceptionnels engrangés par les « profiteurs de guerre ». Aux Etats-Unis, Franklin Roosevelt a porté le taux d'impôt sur les revenus les plus élevés à 94 % en 1944 (après avoir échoué deux ans plus tôt à faire voter une taxation à 100 % au-delà de 25.000 dollars). Taux d'intérêt plafonnés Le troisième moyen est la création monétaire. La planche à billets tourne facilement en temps de guerre, quitte à engendrer par la suite de fortes poussées inflationnistes. En France, la création monétaire a financé le dixième des dépenses induites par le conflit de 1914-1918. Aux Etats-Unis, le Congrès a voté en 1942 une loi autorisant la Réserve fédérale à acheter des obligations au Trésor. Ce qui a permis à la banque centrale de plafonner les taux d'intérêt , en acquérant des titres publics dès que le loyer de l'argent dépassait 0,4 % à court terme ou 2,5 % à long terme. L'économie de la transition n'est cependant pas une économie de guerre jusqu'au bout. Si la victoire a ici une valeur inestimable (elle permettra la survie de l'espèce humaine), elle ne rapportera pas d'argent. Contrairement ce qui s'est passé jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. En 1918, l'Allemagne a été condamnée à payer de lourdes réparations à la France. La France a dû verser des sommes colossales à ses vainqueurs en 1815 et 1871. Dans les guerres du Moyen Age, le camp victorieux s'emparait d'un trésor et soumettait de nouvelles populations à l'impôt. Rien de tel cette fois-ci. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour renoncer. Car en termes économiques, la transition sera à peine une guéguerre. En 1944, les dépenses militaires constituaient 45 % du PIB américain. Les investissements supplémentaires requis pour la transition énergétique, eux, sont évalués pour la France à près de 70 milliards d'euros par an dans le rapport piloté par Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry . Même en supposant qu'il faudra investir deux fois plus, la facture dépasserait à peine 5 % du PIB. Pas besoin d'un Roosevelt pour y arriver.
Jean-Marc Vittori
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