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Photo du rédacteurThierry Bardy

Stéphane Bancel, de Moderna, prix du Stratège de l'année



Catherine Ducruet


Faire d'une biotech un géant mondial des vaccins à la faveur de la pandémie de Covid, telle est la performance réalisée par ce Français. Cet ex-dirigeant de BioMérieux, parti s'installer outre-Atlantique, est à la tête d'une entreprise qui pèse 98 milliards de dollars en Bourse.

Impressionnant. En deux ans, Moderna sera passée du statut de jeune pousse prometteuse sans aucun produit commercialisé, comme l'industrie américaine des biotechs en compte des milliers, à celui d'entreprise bénéficiaire pesant 98 milliards de dollars en Bourse et dont le chiffre d'affaires pourrait atteindre de 15 à 18 milliards de dollars, cette année.

Dans cette métamorphose, le Covid-19 a naturellement joué un rôle déterminant, mais encore fallait-il saisir l'opportunité. C'est là que le centralien Stéphane Bancel, patron de Moderna depuis dix ans, a révélé aux yeux de tous les qualités de stratège qui lui valent aujourd'hui d'être distingué par « Les Echos » pour le Prix du Stratège de l'année.

Si c'est l'épopée des vaccins contre le Covid qui a consacré la renommée mondiale de Stéphane Bancel, sa réputation était déjà faite sur le campus bostonien de Cambridge, Mecque de la biotech mondiale où est implantée la société.

A partir du moment où cet ancien dirigeant de BioMérieux, alors âgé de 38 ans, en a pris la tête en 2011, Moderna a battu tous les records. Deux ans plus tard, c'est une licorne (1 milliard de dollars de valorisation), et quatre ans plus tard, elle pèse 3,5 milliards. Lors de la signature, en 2013, de son partenariat avec AstraZeneca pour développer un médicament dans le domaine cardiovasculaire, nouveau record : celui du versement initial le plus important pour un projet qui n'est même pas encore au stade clinique.

Révolutionner l'industrie pharmaceutique

L'entrée au Nasdaq de Moderna, en 2018, confirme la force de conviction de l'homme qui en tient la barre. C'est alors la plus grosse levée de fonds jamais réalisée par une biotech. Les 621 millions de dollars ainsi obtenus valorisent l'entreprise à hauteur de 7,5 milliards bien qu'elle n'ait toujours aucun produit commercialisé. Même si, en biotech, on vend du rêve aux investisseurs, encore faut-il qu'ils l'achètent. Et c'est là que les qualités de stratège sont déterminantes.

Etre stratège, c'est d'abord avoir une vision à long terme, une conscience claire de l'objectif à atteindre. Pour Stéphane Bancel, il s'agit de révolutionner l'industrie pharmaceutique grâce à l'ARN messager, à commencer par les vaccins. Le potentiel de l'ARN messager est établi depuis les années 1990, mais il reste à trouver un « emballage » pour l'administrer car il se dégrade facilement. C'est chose faite chez Moderna, en 2013, avec des nanoparticules lipidiques. Commence alors le développement du premier produit, un vaccin contre le cytomégalovirus, cause de lourds handicaps chez l'enfant si la mère est infectée pendant la grossesse. Il doit servir de preuve de concept. Lorsque l'épidémie de Covid-19 se déclenche, il est prêt à entrer en Phase II, c'est-à-dire à faire la preuve de son efficacité.

Rapidité d'exécution

Là, intervient une autre qualité du stratège : comprendre de manière plus intuitive qu'analytique l'opportunité à saisir. A la différence du tacticien qui est subordonné aux événements auxquels il ne fait que réagir, le stratège les met, lui, au service du but qu'il poursuit. Lors d'échanges au forum de Davos de janvier 2020, la possibilité d'une pandémie engendrée par le tout nouveau virus SARS-CoV, dont la séquence vient d'être publiée, s'impose à Stéphane Bancel. Le vaccin contre le cytomégalovirus attendra. Le 7 février, un premier lot d'ARN messager codant la protéine Spike du SARS-CoV2 est obtenu, et après les contrôles qualité de rigueur, le premier lot clinique est prêt à être testé chez l'homme.

Cette rapidité d'exécution qui caractérise le fonctionnement de Moderna depuis le début de son aventure tient certes à la petite taille de l'entreprise, mais aussi à la troisième caractéristique du stratège : savoir mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs. Moyens financiers tout d'abord. Stéphane Bancel n'a pas ménagé sa peine, faisant feu de tout bois : capital-risque classique bien sûr, et des deux côtés de l'Atlantique, mais aussi family offices (fonds créés par des familles fortunées), en attendant l'entrée au Nasdaq. Mais aussi accords avec des industriels (AstraZeneca et Merck MSD) sans négliger les financements publics de type Barda.

Les enjeux de l'après-Covid

Moyens humains aussi bien sûr. L'entreprise a dû embaucher massivement et en un temps record pour passer du statut de biotech essentiellement focalisée sur la recherche à celui d'entreprise industrielle et commerciale vendant des milliards de doses vaccins. De quelque 800 personnes en mars 2020, les effectifs dépassaient les 1.500, un an plus tard, soit un quasi-doublement. Le style de management de la maison est souvent qualifié de rude, même si on s'en accommode mieux outre-Atlantique qu'en Europe. Stéphane Bancel, lui-même travailleur acharné, ne ménage pas ses troupes.

Enfin, à l'heure d'Internet et des réseaux sociaux, il faut maîtriser l'image de l'entreprise. On a beaucoup reproché à Stéphane Bancel sa politique de secret lors des débuts de Moderna, mais aujourd'hui, il sait manier la communication au service de son objectif. Alors que les ONG réclament la levée des brevets sur les vaccins Covid, il annonce la construction d'une usine en Afrique pour tenter de leur couper l'herbe sous le pied. Lorsque des chercheurs du NIH accusent l'entreprise de les avoir évincés de la liste des inventeurs du vaccin, il défend, pied à pied, sa politique de dépôt de brevets. Enfin, quand un nombre anormalement élevé de cas de myocardite apparaît chez les personnes immunisées avec son vaccin, il monte au créneau, conscient que le succès d'un vaccin est d'abord une question de confiance.

Moderna va-t-elle poursuivre sur sa trajectoire d'exception ? Si les analystes lui prédisent un chiffre d'affaires de 22 milliards de dollars en 2022, la prochaine étape pour Stéphane Bancel sera de piloter « l'atterrissage » de l'après-Covid. Le pipeline de Moderna est fourni et les projets ne manquent pas pour s'attaquer avec l'ARN à bien plus de maladies. Il reste à en faire des succès. Laissons faire le stratège.

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